Derechef, feuilleton des bouleaux

Un : prolégomènes forestiers

Au bouleau de nouveau
il y a, je ne dirais plus
du pain sur la planche
(quoique Barthélémy l’Anglais
décrive des hommes sauvages
qui mangent du pain de bouleau
Liber de proprietatibus rerum)
mais tant à raconter
que je crains de perdre le lecteur
dans une forêt russe
une bibliothèque feuillue
plantée de colonnes pâles
comme des fantômes
mais signées de noir

Effeuillons donc un feuilleton
même si, de vrai
je ne sais pas bien
où nous allons

Deux : préambule couché

En montagne
ou très au nord
au ras du sol
pays des neiges
et nuits sans fin
rampe le bouleau nain
betula nana
près du lichen
écume des rêves
pâture des rennes
guère plus qu’une broussaille
aux feuilles rondes et dentelées

Celui-là n’est pas le bois dont
les Samis font
des tambours prophétiques Continuer la lecture de « Derechef, feuilleton des bouleaux »

« Aller simple », un poème de Langston Hughes

J’ai osé une traduction de ce poème célèbre publié en 1949, parce que celle que l’on trouve le plus couramment sur Internet ne me satisfait pas avec ses « règlements pour Jim Crow » ou ses marques d’oralité, absentes me semble-t-il de l’original américain. Pour le lire en anglais, c’est ici ; pour l’écouter, dit par Langston Hughes, avec une variante, c’est .

Je reprends ma vie en main
Et l’emporte avec moi
Et la pose à
Chicago, Detroit,
Buffalo, Scranton,
Au Nord et à l’Est, n’importe où
— plutôt qu’au Dixieland.

Je reprends ma vie en main
Et l’emporte par le train
à Los Angeles, Bakersfield
Seattle, Oakland, Salt Lake,
Au Nord et à l’Ouest, n’importe où
— plutôt qu’au sud.

Je ne supporte plus
Les lois « Jim Crow »
Les gens cruels
Et peureux
Qui lynchent et s’enfuient
Qui ont peur de moi
Comme moi d’eux.

Je reprends ma vie en main
Et l’emporte au loin
Avec un aller simple
— Monté vers le Nord,
Filé à l’Ouest,
Parti !

Langston Hughes, « One-Way Ticket », 1949

Érable à feuilles d’obier

Saisi d’une mélancolie
bien ordinaire à mon âge
compulsant l’encyclopédie
des feuilles d’automne
une à une, il faut bien le dire
j’ai été consolé
par l’érable à feuilles d’obier
dans un lambeau de prairie
désert et ensauvagé
sous la butte de l’Aigle

Il faut dire qu’en bas
on n’entend parler
que de guerre
alors autant monter
par le raidillon
entre les pins

Aussi rouge, cuivré et doré
que le sumac fustet
comme lui prenant l’automne
visiblement très au sérieux
le petit érable dansait seul
dans le vent d’avant
l’orage

Acer opalus
grandi à la va-comme
-je-te-pousse

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Le martin-pêcheur et le Saint-Esprit

De l’arbre on glisse facilement à l’oiseau, image ©BNF-Gallica

Sur l’eau vive
apparition ailée
de l’esprit, plus bariolé
et décoiffé
que la colombe
mais un baptême de beauté
certainement

L’anglais dit kingfisher
pour ainsi dire roi pêcheur
Sur la gauloise Coudre
la Même ou l’Erre
on dit martin-pêcheur
prénom de glèbe
et de berge rustique

On ne questionnera pas
sa royauté tant
il règne sur l’éclaboussure
de couleur soudaine
le plongeon éclatant
l’étincelle bleu électrique
et orange
plus rapide que le regard

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Comme un genévrier

Au théâtre de prairie sèche
pâturage abandonné
partout sur les pentes
du Château Vieux
dans les marnes d’Aurel, Drôme
dont j’ai la nostalgie
plusieurs mois par an

Genévrier commun
commun quoi ?
Léonard a peint au fond
du portrait de Ginevra de Benci
ses hélices anguleuses

Des hôtes m’ont appris
que sur les Causses
c’était l’arbre de Noël
puisque sempervirent

Ici, rareté au dos d’une haie
du Perche, près de l’Anglecherie
Peut-être les a-t-on arrachés
brûlés, juniperus communis
Ils étaient, m’a-t-on dit,
plus nombreux jadis

Comme les ajoncs
on oublie facilement
qu’on les a plantés
et cultivés en d’autres temps
Et pourtant

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Profondeur du nerprun

Je devrais plutôt tailler
des signes abstraits
dans un roc isolé

M’appelle pourtant
un nouvel éloge
nouvelle réclamation
nouvelle acclamation
nouvelle proclamation
d’un arbuste tenace
confus et épineux

Comme moi ?

Feuillage vert sombre
aux nervures convergentes
baies noires à la fin de l’été
toxiques et purgatives

Avec la bourdaine
et le cornouiller
on le confondrait
sans ses épines
Rhamnus catharticus

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Le rouge-gorge et le bédégar

Dans la forêt du sommeil
dans la forêt du langage
rêve des feuillages

Quelquefois, il s’égare, papillon
à la recherche de la fleur
sur laquelle se poser
le mot

Un des précieux lexiques
dont Gérard de Crémone
Italien installé à Tolède
accompagnait
ses traductions de l’arabe
cite le bédégar
au douzième siècle

Rose du vent
vent et rose
en arabe, en persan
bédégar ?

D’un air de brigand
des Mille et Une Nuits
bédégar a désigné
une rose, le chardon-Marie
l’églantier et puis enfin
cette effloraison
étrangement chevelue
qui l’embroussaille

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Bretoncelles, et si un jour ça se passait ainsi !

Avec Patrick Schweizer et le metteur en scène Denis Robert, j’ai participé à l’élaboration d’un spectacle sur la grève des ouvriers de l’usine Piron de Bretoncelles qui ont licencié leur patron en 1974. Le projet a rencontré une vive opposition de la part de la famille de l’ancien patron, et même de la municipalité, mais la représentation aura lieu de toute manière. Rendez-vous à Bretoncelles dimanche 17 septembre à 15 heures. Denis Robert a rassemblé beaucoup d’éléments sur le sujet, dont des photographies, des coupures de presse, et deux films d’époque, sur le site https://piron.troisiemerive.com

Colchique au talus

Comme un crocus
mauve miraculé
qui paraîtrait brièvement
à la fin de l’été
pour lequel on fait
exception

Les colchiques sont
empoisonnées, soit
elles évoquent Médée
et les trésors maléfiques
de la Colchide antique
Dans la pharmacopée
elles soignent la goutte

Mais, colchique dans les prés
c’est la fin de l’été
répète la rengaine
écrite par deux scoutes
en mil neuf cent quarante-trois
sans doute

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