Blason des volubiles

Illustration : Elizabeth Blackwell, Herbarium Blackwellianum, Nuremberg, 1765.

Il est déjà là, le temps des baies
avec l’avance que l’on sait

Sur la robe encore verte de la haie
colliers, guirlandes, festons
vrilles, serpentins et rubans
aigrettes, plumets
perles et pierreries baroques
rouges, violettes ou noires
Un noir de jais pour le deuil
de nos étés sans brûlure ?

Pousse une vérité emmêlée
concurrente ou symbiotique
de grains, d’akènes, de drupes
Breloques, dentelles sur la robe
de la danseuse verte

En hiver, quand la haie sera nue
ses os de bois uniquement
cachés par la feuille de lierre
elle conservera cependant ses bijoux
d’églantier, bryone ou tamier

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Érable matamore

Avec de l’élan et de l’allant
pour me hisser à la hauteur
j’ai tourné sur moi-même
bras étendus
choisi des mots longilignes

Mais pardon
cher Carl von Linné
Acer pseudoplatanus
érable ou sycomore ?
À ne pas confondre
avec acer platanoides
ni avec l’érable
à feuilles d’obier ?
Je crois qu’un tel fouillis
nuit à la compréhension

Franchement, est-ce
un figuier vénérable ?
un platane d’Orient
même si l’écorce s’écaille ?
Non, c’est un érable élancé
dont les feuilles opposées
ont cinq lobes dentés
et de longs pétioles
souvent rouges
Pourquoi ces hésitations ?

Lequel est faux, lequel vrai ?
Lequel ressemble à l’autre ?
Pourquoi pas érable altier
ou érable à violons ?
D’autres disent plus simplement
grand érable, érable blanc
ou érable des montagnes Continuer la lecture de « Érable matamore »

Lande d’ajoncs

J’ai envie de chanter là
la lande
et l’ajonc acéré
Si La lande 
touche le ciel
a écrit Guillevic, Eugène
ou était-ce Le Braz, Anatole
l’ajonc l’ancre

Faut-il le dire, c’est du Cotentin
que je reviens, illuminé
enluminé d’un coup de soleil
finistère proche et lointain
ce qui conduit à consulter
des Bretons d’outre-tombe
un Suédois et peut-être un Américain

Nécromant ordinaire
je converse souvent avec des morts
qui me contredisent moins
que les vivants

Pourtant, Anatole me met en garde
contre la poésie de boule à neige
« prenez quelques clochers à jours
quelques calvaires, un air de biniou
trois notes de bombarde
vous ajoutez un brin de genêt
un bouquet d’ajonc-d’or
du vent, de la brume, de la pluie, de la mer
vous mêlez le tout, vous agitez fortement
et vous avez la Bretagne »

Mais l’ajonc bien sûr
nuances de vert
allure mousseuse
trompeuse douceur
ulex europaeus
a piqué ma curiosité
pas seulement
quand je me suis assis dessus
par mégarde

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Magnolia

Qu’est-ce que le magnolia
vient faire là ?

Ses grandes fleurs blanches
dans un feuillage épais
dur, et presque verni
son tronc pâle et lisse
viennent du Nouveau Monde
« Laurier tulipier » l’ont
appelé les Français
de Basse Louisiane

Sans doute il pousse aussi
dans les Florides
aux frontières
de leur rêve américain

Au village, pourtant
Claude en a un
dans son jardin
Comme Martine et Alain
Magnolia grandiflora
et je les admire
au pays de la Coudre
et de la Même

Le père Charles Plumier
mort d’avoir trop voyagé
l’a dessiné
et baptisé « magnolia »
dans Nova plantarum
americanarum genera
en mil sept cent trois
en hommage à Pierre Magnol
un Provençal, on le devine
directeur du jardin des Plantes
de Montpellier
et auteur de plusieurs traités
de botanique en latin

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Lettre du Cèdre

Enivré par son parfum
son ombre profonde
son écorce
reconnaissant pour la fraîcheur
qu’il a offerte à mes études
par un été de canicule
mauvaise idée
j’essaie
un poème du cèdre

Et bientôt je vois
à quel point le sujet est trop grand
pour moi
trop vaste
pour tenir dans mon carnet
trop vaste pour être embrassé
trop élevé pour y cueillir
une pomme ou un rameau
Toute mon encre
n’y suffirait pas

Le cèdre
m’a scotché
cathédrale faite arbre
et sa résine odorante

Eh oui, on le sait
altier, le cèdre
vient d’une autre ère
et il a traversé les mers
avec les Phéniciens
et leurs étroites nefs

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Chanson du néflier

En photo, le vénérable néflier de Bell House à Dulwich

– Des nèfles ?
Écoutez tout de même
la chanson du néflier
« arbre au tronc tordu
et difforme » insulte
le dictionnaire
Le Robert

Je ne vous parle pas
du néflier du Japon
mais de celui plaisamment
irrégulier, piquant
qui pousse
sauvage, en bordure
de notre mémoire
à l’orée du bois
un peu suri
sur le bout de langue
ou dans les haies
néflier commun
Mespilus ou plutôt
Crataegus germanica

Pourquoi germanica
ce cousin de l’aubépin ?
Des hommes qui voyageaient
avec des arbres
l’ont rapporté
des Balkans ou d’Arménie
d’Iran, de Crimée
ou du Turkménistan
Moine gyrovague ?
Explorateur grec ?
Légionnaire romain ?
On ne sait
peut-être les trois

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Fragon ou petit-houx

Arbuste, même pas
arbrisseau, à peine
buisson on dirait

Ici, à flanc de coteau
sablonneux
sauvages
sous les chênes
brûlent les flammèches
vertes et pointues
et brasillent
les fruits rouges
du fragon
dit « petit-houx »

J’apprends que ses feuilles
ne sont pas des feuilles
mais des cladodes
non des pagodes
vous-dis je
mais des cladodes
C’est une méthode
pour affiner
les tiges, qu’elles servent
de feuilles

Sempervirent et piquant
doté d’étranges fleurs
il est aussi, le fragon
surnommé « fesse-larrons »
châtiment saignant
en toute saison
Ruscus aculeatus

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Phobographie

Réveillé un matin par une sorte de migraine, je suis resté persuadé qu’on avait inventé, à peu près à la même époque que la photographie, un autre procédé de reproduction du réel, et en particulier des êtres vivants, plus ressemblant et plus émouvant, mais moins célèbre et moins répandu, puisqu’il provoque des malaises, des névralgies, des accidents, voire dans les cas les plus graves des mutilations ou même des disparitions chez les sujets dédoublés par l’image, mais aussi chez l’opérateur. On peut même imaginer qu’il ait été interdit, et que ceux qui continuent à le pratiquer le font dans la clandestinité. Je me suis trouvé très préoccupé que certains continuent à créer de dangereux portraits d’enfant de cette manière. On murmure que l’écrivain cubain José Carlos Somoza l’aurait pratiqué.
Si ce procédé avait dû avoir un inventeur, ç’aurait assurément été Claude Niépce, frère aîné méconnu de Nicéphore Niépce. Installé à Londres, dans le quartier d’Hammersmith, il pensait avoir davantage de chance de faire financer ses inventions. La suite prouverait qu’il avait tort, et il sombra dans la folie.
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Miracles de l’églantier

C’est le jour où célébrer
la gloire d’une fleur
églantine
et du buisson épineux
qui la rehausse
d’obéir
à son invitation
d’ailleurs, elle attend à ma porte
rejetée d’un porte-greffe taillé
trop court

Car si l’arbuste est églantier
jadis aiglant, ou aiglantier
pour ses épines griffues
comme des serres
la fleur est églantine
d’où l’on baptisa beaucoup
de jeunes filles en fleur
des siècles précédents

Sa corolle, jupe de cancan
pour la troupe de Mademoiselle
Églantine, avec Jane Avril
ou plutôt mai ?

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Le pont traversé : Saint-Séverin

Une fois
le pont traversé
me hantent
un labyrinthe de vieilles rues
dans un rectangle
délimité par le quai
les boulevards
et la rue du Petit-Pont
qui devient rue Saint-Jacques

Depuis longtemps
je n’y suis pas retourné
Passé le pont
les fantômes vinrent
à sa rencontre

L’îlot Saint-Séverin
première expérience
de quartier
piétonnier à Paris
mil neuf cent soixante-douze
avec un succès mitigé

Une association de riverains
dénonçait la recrudescence
de malfaiteurs, de drogués
et d’oisifs dans Le Monde

Des touristes fatigués
déjà y consommaient
des succédanés
Ce mythe parisien
vanné, délavé, lessivé
regorge
de contes fabriqués
de fausses légendes
d’enseignes trompeuses

Pourtant au numéro seize
de la rue Saint-Séverin
Marcel Béalu, l’auteur
des Mémoires de l’ombre
dans sa librairie
« Le pont traversé »
animait la société
des amis de Max Jacob
avant de s’installer
rue de Vaugirard
dans une boutique
qui est devenue
un coffee-shop
sans gluten

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