Magnolia

Qu’est-ce que le magnolia
vient faire là ?

Ses grandes fleurs blanches
dans un feuillage épais
dur, et presque verni
son tronc pâle et lisse
viennent du Nouveau Monde
« Laurier tulipier » l’ont
appelé les Français
de Basse Louisiane

Sans doute il pousse aussi
dans les Florides
aux frontières
de leur rêve américain

Au village, pourtant
Claude en a un
dans son jardin
Comme Martine et Alain
Magnolia grandiflora
et je les admire
au pays de la Coudre
et de la Même

Le père Charles Plumier
mort d’avoir trop voyagé
l’a dessiné
et baptisé « magnolia »
dans Nova plantarum
americanarum genera
en mil sept cent trois
en hommage à Pierre Magnol
un Provençal, on le devine
directeur du jardin des Plantes
de Montpellier
et auteur de plusieurs traités
de botanique en latin

On a essayé « magnolier »
mais le terme n’est pas resté
il n’y poussait pas
de savants de Montpellier

Monsieur Le Page du Pratz
explorateur et colon
le décrit précisément
dans son Histoire de la Louisiane
contenant la découverte
de ce vaste pays
et cetera et cetera
Il est rentré en France
lors de la révolte des Natchez
un peuple vaillant
qui vivait presque nu
et que la colonisation
a exterminé
sous les magnolias

Bizarrement, dans l’Atala
de Chateaubriand
mil huit cent trois
la vie et la mort
de son héroïne amérindienne
douloureusement convertie
au catholicisme
s’accompagne d’une fleur
blanche de magnolia
que l’on enterre fanée
avec elle

Le premier magnolia
arrivé en France
aurait été débarqué
du « Saint-Michel »
à Paimbœuf
en mil sept cent onze
et installé
dans la serre de l’orangerie
du maire de Nantes
Darquistade

La légende veut
qu’il ait voulu le brûler
car il ne fleurissait pas
La femme du jardinier
l’aurait sauvé
en le plantant en pleine terre
où il fleurit enfin
attirant tous les botanistes alentour
comme sa fleur
les abeilles

Mais pourquoi son nom
rappelle Bille Holiday
et le gardénia
fiché dans ses cheveux ?

Ça me revient vite
Strange fruits
« Arbres du Sud
qui portent d’étranges fruits »

À Magnolia en Arkansas
en mil neuf cent dix-neuf
la foule a brûlé vif un homme
noir accusé de meurtre

Scent of magnolias, sweet and fresh
Then the sudden smell of burning flesh
chante Lady Day
d’une voix douce et déchirante
« Parfum frais et suave du magnolia
Puis soudain l’odeur de chair brûlée »

L’homme qui a écrit les paroles
parues sous le titre Bitter Fruit
« Fruit amer »
dans une revue d’enseignants
s’appelait Abel Meeropol
Il était juif, communiste
et américain

À la question pourquoi ?
Abel a répondu :
Je suis juif
Comment je le sais ?
Le lynchage d’un noir
me rappelle efficacement
que je suis juif

La fleur de magnolia est devenue
un emblème du Sud raciste
Du sang au pied du magnolia ?
Des pendus à ses branches torses ?

Ce n’est pas la faute à l’arbre
Lui, il aurait aussi bien pu
pousser au jardin d’Eden

Ce n’est pas le manche de frêne
le bois du gourdin
qui ont commis un crime
encore moins la fleur
si étonnamment blanche
dans le feuillage
d’un vert étincelant

Laisser un commentaire