Lande d’ajoncs

J’ai envie de chanter là
la lande
et l’ajonc acéré
Si La lande 
touche le ciel
a écrit Guillevic, Eugène
ou était-ce Le Braz, Anatole
l’ajonc l’ancre

Faut-il le dire, c’est du Cotentin
que je reviens, illuminé
enluminé d’un coup de soleil
finistère proche et lointain
ce qui conduit à consulter
des Bretons d’outre-tombe
un Suédois et peut-être un Américain

Nécromant ordinaire
je converse souvent avec des morts
qui me contredisent moins
que les vivants

Pourtant, Anatole me met en garde
contre la poésie de boule à neige
« prenez quelques clochers à jours
quelques calvaires, un air de biniou
trois notes de bombarde
vous ajoutez un brin de genêt
un bouquet d’ajonc-d’or
du vent, de la brume, de la pluie, de la mer
vous mêlez le tout, vous agitez fortement
et vous avez la Bretagne »

Mais l’ajonc bien sûr
nuances de vert
allure mousseuse
trompeuse douceur
ulex europaeus
a piqué ma curiosité
pas seulement
quand je me suis assis dessus
par mégarde

En guise de décor
réfutant le Land des langues germaniques
terre à posséder et à défendre
je brandis où plutôt j’étends sur le fil
de l’horizon, comme un drap à sécher face à la mer
vert et violet
la lande, lann en breton
qui signifie aussi « ajonc »
espace vide et piquant
terre pauvre
terre à errer, terre venteuse
terre de bord de mer

La compagnie que tient ce sauvageon
abat tout un jeu de piques
de l’as à la reine
aubépine envahie de lichen
rosier sauvage très épineux spinosissima
prunellier constellé de fruits bleus
et faisant le gros dos contre le vent, houx

Cependant, plus doux
petits ormes, bruyère
et peuple entier de plumets blancs
lagure queue-de-lièvre
dansant sur les sables

Nécromant encore
pourquoi j’essaie de comprendre pourquoi
Carl von Linné en dix sept cent cinquante trois
pour désigner l’ajonc
choisit ulex, mot rare, qu’on ne retrouve
que dans l’Histoire naturelle de Pline
où il désigne un romarin épineux
dont on confectionne un paillasson
pour retenir les particules d’or
contenues dans l’eau ?

Pour la raison qu’il fleurit
semant d’or la lande ?

J’ai cru le temps de l’écrire
que la lande
terre gaste
The Waste Land
de Ti Esse Elliot
pourrait être l’espace libre
l’étendue poétique
nue et pauvre en apparence
mais rayonnante de magie celtique
espace d’expérimentation
où je serais enfin devenu
de chevalier à la triste figure
le poète que je voudrais être
à l’ouest de l’ouest du monde

Jette une poignée de sable
une pincée de sel
mâche l’ajonc
et deviens poète
me serais-je dit
Il ressemble à un ogham
irlandais

Pauvre pâture d’hiver
ajonc qu’il faut battre
qu’il faut broyer
pour ôter l’épine
et en nourrir
ânes, vaches ou chevaux

Ajonc pour haie vive ou sèche
Ajonc à fagotter
avec gants de cuir
en peau de chèvre
pour le brasier
du four du boulanger
ou de l’alchimiste

Ajonc en balle
au bout d’une corde
pour ramoner efficacement
une cheminée

L’ajonc enfin
aime le brûlis
et l’incendie
Les gousses noires
de ses graines résistent
aux flammes et germent
vite sur la cendre
Il survivra mieux que moi
ou mes cahiers

Et puis Anatole
me le rappelle, l’ajonc sert
de refuge aux âmes
des défunts, surtout
quand elles sont promises
au purgatoire
et abrite peut-être les fées

Pensez à les prévenir
avant d’enjamber
un buisson d’ajonc
en breton lann
qui veut aussi dire lande

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