Jusqu’ici, resté sagement
sur les rails des trajets quotidiens
obligatoires, or
visible depuis le quai
Saint-Bernard
le loup dans sa cage
de la ménagerie
du Jardin des plantes
véloce coureur
des bois et des plaines
tournait et tournait
tournait en rond
au point
de creuser un sillon
circulaire dans son enclos
Toutes les nuits
dans la lueur des phares
obsédé, maniaque
tournait le loup
insomniaque
Un jour, on sait que
l’on est enfermé
que l’on réitère
que l’on rabâche
Le désir de dévier
des circuits obligatoires
vient lentement
On se rebelle progressivement
contre les itinéraires contraints
On sort prudemment de l’ornière
Petit à petit, l’on décolle
du sillon creusé
par nos passages successifs
Timidement d’abord
tracer des parallèles
au chemin obligé
Il se trouve qu’à Paris
les voies parallèles
au revers du décor haussmanien
peuvent être d’anciens
tracés médiévaux
rue Galande
rue des Anglais
rue Gît-le-Cœur
rue de la Brèche-aux-Loups
Et le détour par la rue des Carmes
fait découvrir
le vieux magasin
Mayette, magie moderne
En refusant le bus ou le métro
et en faisant le trajet à pied
un enfant découvrait
Pleure pas grosse bête
tu vas chez Noblet
charcutier rue d’Alésia
l’enseigne du « Soldat Laboureur »
premier grand magasin de Paris
Mouton-Duvernet sans laine
le colonel Denfert-Rochereau
célébré à la barrière d’Enfer
l’institution des jeunes filles aveugles
la coupole de l’Observatoire
Sans doute, enfant
on a peur de se perdre
Le vertige de la ville grise
La liberté est un élixir sauvage
pourtant, il faut s’évader
Car, combien plus nets
combien plus mémorables
les rues, les façades, les atlantes
les visages
quand on sort des sentiers battus
Grands vents et courant du large
André Breton et Guy Debord
me dérivent
ô psychogéographie
Enfin, je prends la tangente
Enfin rue Maître-Albert
rue de Torcy, rue Myrha
m’emmènent loin de chez moi
Le rhum arrangé
des petits cafés antillais
du dix-huitième m’enivre
Avec Christophe
j’emmène des enfants de La Chapelle
en haut de la tour Eiffel
ou, hallucinés
voir Le Radeau de la Méduse
et La Mort de Sardanapale
au Louvre
Je vois ma ville à travers ceux qui
étaient perçus comme étrangers
Je découvre le réseau des cafés kabyles
leur caisse de solidarité
leur appariement avec un village
montagnard
les vendeurs de wax et de mafé
Plus fort encore
grimper sur les toits
hanter les carrières souterraines
puis à la fin
prendre vraiment la tangente
comme un loup qui s’échappe
pour aimer sa ville natale
de loin