Si j’étais poète

Lisant Levez-vous du tombeau
de Jean-Pierre Siméon
la nécessité d’un débat
d’un parlement
d’une parlure
s’imposerait à moi
si j’étais poète

Si j’étais poète, donc
je commencerais par
descendre de l’escabeau
ou du piédestal
pour parler à niveau
juste une voix dans la foule
et tant pis si l’on ne m’entend pas
Il n’est plus temps
à parler de haut

J’aurais l’habitude d’ailleurs
d’habiter à peine plus qu’un silence
frêle expression d’un monde fragile
menacé de diverses destructions

Mais l’urgence nous affole
Un geste de parole
commencerait
par nous en extraire
quoique les ravages soient là
indéniables

On tracerait un cercle de craie
une fiction enfantine
pour dessiner
le calme nécessaire
à une méditation commune

Si j’étais poète
je ne recourrais
au mode impératif
qu’avec une extrême
retenue

On prendrait le temps
de l’hésitation
et du trouble
La vérité aujourd’hui
est tremblante
ce me semble

Nous quitterions
une seconde
l’espace saturé
d’injonctions
morales
ou poétiques
pour respirer

On laisserait les règles d’or
à d’autres
faute de pierre de touche
pour juger de leur alliage

Si j’étais pohéteû
mon monologue
serait traversé
souffle, Boris Vian
d’autres voix
que la mienne
Ô Verlaine
Plus vague et plus soluble dans l’air
Il y aurait aussi la vôtre
si vous voulez
Jean-Pierre Siméon
Louis Morpeau

Mes impératifs
seraient au moins
à la première personne
du pluriel
pour que l’art poétique
nous assemble

Avec mes valeurs d’un seul tenant
de silex, de granit, de marbre
de galet, de coquille d’œuf
de feuille d’arbre
de caillou et fleur de saule
de pomme de pin et baie de genièvre
de fossile et de plume
tesson poli par les flots
goutte, grain, larme
célébration d’un monde fugitif
merci ukiyo-e

il y aurait aussi un peu de fer blanc
de zinc
bouilloire cabossée
pour nous faire du thé
à partager

Quelque outil oublié
un parapluie désossé
relique d’un modeste travail humain
Et la gratitude
d’être encore là
à lire, à murmurer

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