À André
Naïvement, il me semble
je m’obstine, vieil enfant
à demander le nom
des arbres qui m’entourent
pour les saluer, les reconnaître
Pourtant aujourd’hui, j’en découvre
un que j’avais sous les yeux
depuis des décennies sans le voir
faute de savoir l’appeler
Maintenant il vient à ma rencontre
aux lisières de chaque déambulation
Peut-être comme l’alisier blanc
l’amélanchier, le cornouiller
s’ingénie-t-il à remplacer
les vieux buis brûlés
par les chenilles de la pyrale
Écorce de cerisier quand il est jeune
qui noircit avec le temps
petites feuilles de bouleau ou de peuplier
finement dentelées, et surtout à l’été
d’étonnantes cerises miniatures
qui s’ancrent à angle droit sur les tiges
tant elles sont légères
D’où vient-il, Prunus mahaleb
ce voyageur trapu et chiffonné
bois de sainte Lucie ?
Pour une fois, ça paraît simple
Lucie, pieuse princesse d’Écosse
pour échapper à la cour débauchée
du roi son père
(prétendait-il l’épouser
comme celui de Peau-d’Âne ?)
se sauve en Lorraine
La Meuse à la crue mugissante
arrête sa fuite
Elle s’installe, plante son bâton
qui aussitôt prend racine et se ramifie
porte fleur parfumée, puis fruit
bois de sainte Lucie
Bergère, fileuse de laine,
elle fonde un ermitage
À sa mort, le roi son père
veut remporter le corps
mais il devient si pesant
que le chariot ne peut avancer
et ses reliques miraculeuses
restent lorraines
Bientôt le bâton de sainte Lucie
devient forêt et on s’aperçoit
que ce bois rouge
au grain fin et dur
exhale une odeur de sainteté
celle du foin fraîchement coupé
Et l’on n’a de cesse
de tourner, de sculpter
boîtes ou cadres de miroir
De nos jours, il porte les greffes
de plus d’un cerisier
Mais pourquoi mahaleb ?
Quelle moitié de l’histoire manque ?
Aurait-on oublié l’alchimiste Al-Razi
le médecin Ibn al-Baitar
et l’agronome Ibn al-Awam
l’Andalou, qui l’ont célébré
les Arabes ou Levantins
Persans, Syriens, Turcs, Grecs
qui le cultivent et aromatisent
leurs desserts avec l’amande
du minuscule noyau ?