Chanson du néflier

En photo, le vénérable néflier de Bell House à Dulwich

– Des nèfles ?
Écoutez tout de même
la chanson du néflier
« arbre au tronc tordu
et difforme » insulte
le dictionnaire
Le Robert

Je ne vous parle pas
du néflier du Japon
mais de celui plaisamment
irrégulier, piquant
qui pousse
sauvage, en bordure
de notre mémoire
à l’orée du bois
un peu suri
sur le bout de langue
ou dans les haies
néflier commun
Mespilus ou plutôt
Crataegus germanica

Pourquoi germanica
ce cousin de l’aubépin ?
Des hommes qui voyageaient
avec des arbres
l’ont rapporté
des Balkans ou d’Arménie
d’Iran, de Crimée
ou du Turkménistan
Moine gyrovague ?
Explorateur grec ?
Légionnaire romain ?
On ne sait
peut-être les trois

Linné vivait en Suède
peut-être pour lui
l’Allemagne
c’était le sud

Moi j’ai retrouvé
le néflier
sur le petit plateau
entre Préval et Avezé

— Des nèfles !
On ne comprend pas toujours
nos anciens, leurs goûts
et leurs imaginations
puisqu’ils se délectaient
d’un fruit qu’il faut manger pourri
Ses sépales persistantes
leur évoquaient un trou du cul
S’il faut en croire Shakespeare
et pire

Il faut dire que le sucre
était plus rare
c’était peut-être
le seul fruit
de l’ hiver ?

– Des nèfles !
Charlemagne commande
d’en planter aux domaines impériaux
Henri VIII s’en délectait
Rabelais imagine
que des nèfles énormes
consommées la semaine des trois jeudis
lors d’un cataclysme céleste
font croître immensément
certaines parties du corps
Ainsi grandit Pantagruel

– Des nèfles !
Petites fleurs blanches
d’avril à mai
feuilles pointues
alternes, duveteuses
au revers
et bois dur
poussé lentement
D’ailleurs, le néflier
peut vivre des siècles

Cette dureté
comparable au houx
a donné l’idée
d’en faire des bâtons
houlette de berger
canne de marche
ou défense

Le makhila basque
est en bois de néflier
incisé de motifs
dit-on, deux ans avant la coupe
puis enveloppé d’un linge
passé à la chaux
et à la flamme
puis serti de métal
et gravé d’une devise

Un journaliste du Petit Parisien
nom de plume Claude Frollo
se délecte à raconter
qu’un berger a rossé
avec son bâton de néflier
les valets d’un aristo
et brisé leurs épées

– Des nèfles !
Du coup je me demande
pourquoi j’aligne
ces notes sur les arbres
Est-ce question de racines ?
De vent dans les branches ?
Est-ce que je trace
des arabesques pour masquer
le néant qui me guette ?
Un poème ? Des nèfles !

Laisser un commentaire