Mûrier blanc

Ce n’est pas un Maure blanc
morus alba
mais l’arbre le plus exotique
d’une enfance
à dévaler l’été
les chemins caillouteux
ivre d’une liberté
inconnue dans nos villes

Toujours un arrêt
à l’ombre dense
sous le feuillage épais
d’un arbre trapu et courtaud
taillé en têtard ou cabasso
que je savais étranger

Le mûrier blanc
gorgé de sucre à l’été,
bonbons spontanés
arbre de cocagne
tachait le sol d’écarlate ou de pourpre
fruits rouges ou blancs saturés de chaleur
de guêpes et de bourdonnements
que personne ne se mêlait de manger
sauf les insectes, les oiseaux et nous

Le gentilhomme ardéchois
et résolument huguenot
écrivain d’antan
dont je fréquente souvent
le Théâtre d’agriculture
Olivier de Serres
acteur important
de son histoire
critique « la fade douceur » du fruit
et le réserve aux « femmes dégoûtées
enfants et pauvres gens
en temps de famine »

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Sous-bois : nom d’une fleur, anémone

Avant que ne jaillissent les feuilles des arbres, sauvage passagère du printemps, invisible dès l’été, toute une histoire éphémère fleurit, blanche ici, rosée, écarlate ou purpurine ailleurs, belle et frêle comme notre bonheur, pourvu que l’on baisse les yeux.

L’anémone prénommée sylvie comme un songe de Nerval constelle la clairière d’imaginations venteuses et décoiffantes. Anemone nemorosa, rose de mer, rose de Nemo, capitaine du Nautilus, enseveli dans son sous-marin au large de l’île mystérieuse ? Non, plutôt de nemus, « bois » en latin, bois sacré même, d’une sauvagerie surnaturelle, quelquefois visité par une divinité, anémone des bois.

Quel souffle visite en rase-mottes la plate-bande ? Éclose du vent selon la science antique, l’anémone tourne ses pâles pétales vers le soleil et les referme si une pluie trop violente menace ses tiges grêles.

Vénus pleurant sur le corps d’Adonis naaman aurait fait éclore magiquement du sang de son amant, comme bulles de pluie à la surface de l’eau écrit Ovide, ces fleurs de vent.

Un if

Un if
Longtemps rétif
à la poésie des conifères
des porte-aiguilles
qui me paraissaient
sinistres et stériles
j’ai marché jusqu’à l’if
« millénaire » de Jauzé
dans la Sarthe
entre ruisseau et bois
heureux et pensif

Sa présence ébouriffante
son tronc vrillé et fendu
l’écorce rougeâtre en écailles
l’importance sauvage
de sa ramure excluait
que l’on fasse fi de l’if

À dire vrai, l’arbre massif
et sombre au cimetière
ne portait pas de cônes
mais des fleurs petites
brunes anémophiles

Somme toute près de l’église
croissant aussi lentement
que houx ou buis
il rappelle aux morts
de l’ouest et du nord
ce que dit au sud
le cyprès d’Italie figuratif :
l’ombre noire du trépas
obscurcit le jour
mais subsiste l’espoir
qu’il ne triomphera pas
toujours de l’amour

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Surcroît de noisetier

D’abord champêtre
bucolique, à la Virgile
car la bergère
Phyllis aime à reposer
sous le coudrier
corylus avellana
occupe un chapitre rustique
du Théâtre d’agriculture
d’Olivier de Serres

C’est si simple
si familier
la coudraie
son ombre légère
et translucide
d’un vert tendre
jeune, nervuré, gaufré
tendu sur des gaules souples

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Au sorbier des oiseaux

Ayant déjà inventé
nostalgie des neiges d’antan
pour un roman tumultueux et triste
une fille à soldats acide
surnommée Sorbe

il fallut pourtant rencontrer
l’arbre en été
près de La Ferté-Vidame
en lisière d’une forêt
malmenée par la sécheresse

pour me consacrer
à l’arbre sorcier
et célébrer ses noces
avec l’oiseau
Comment penser
l’un sans l’autre ?

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Clématite des haies

Malgré festons
et guirlandes
ou souvenirs de Tarzan
cette liane d’Occident
liorne, jorne
inquiète quelquefois

Comme ronces et orties
un serpent végétal
rampille, fausse vigne
envahit maison ruinée
sous-bois obscur
terrain abandonné

Signe de sauvagerie
sarmenteuse
barbe de chèvre
ses tiges ligneuses
tombent en tout sens

Son pétiole vrille
s’attache
tourne
volubilement

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L’arbre transparent II – Orme

Appliqué à voir ce qui n’est plus là

je sais enfin l’arbre fantôme
qui me hantait, c’est l’orme

« Sentez-vous son parfum spectral
frais le matin après une averse printanière ? »

Enfant, entre soixante-dix et quatre-vingt
je n’ai pas vu les grands ormes mourir

presque tous étouffés par la graphiose
épidémie revenue avec des bois américains

J’étais plus près de l’orme Saint-Gervais
l’arbre de justice, que de Saint-Fulgent-des-Ormes

Ici en Normandie, il était partout
et n’est plus nulle part, nul écho

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Prosopopée du vent dans les branches

Naturellement,
murmurent les arbres
d’un même souffle
nous avons davantage
d’affinités
avec le vent
même si parfois
la tempête nous moissonne
et nous couche
dans nos linceuls de verdure
quand nous soufflons nos pollens
avant l’apparition des feuilles
à perdre haleine
« anémogamie » écrit le botaniste
mariage aérien par les alizés
en grec anemos, en latin anima
souffle de l’âme
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Deux viornes des petites routes du Perche

Fleurs et feuilles printanières
dans la bibliothèque de la haie
offrent toujours même après des années
quelques surprises

Comme un florilège poétique
ignoré jusque-là
se révèle au long d’une route familière
arbrisseau ou arbuste, tressé aux autres
petites fleurs blanches
en corymbes circulaires
dont le parfum vaguement malodorant
attire sans doute d’autres que nous
feuilles d’une verdeur de menthe, veloutées
finement dentelées, bourgeons nus

On lui a attribué tellement de noms
que cela crée un flou
son histoire doit être longue
et riche en langues anciennes
rurales et païennes

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