Qui ponctue l’arbre ?

Comment faire pour
que cette encyclopédie
des arbres en vers de mirliton
grimpe plus haut
avec davantage de panache ?

Sans doute lui faut-il
pour s’animer
une ponctuation fugitive
rousse ou noisette
virgule de l’arbre
point d’interrogation ébouriffé
qui l’escalade si vite
qu’on peine à le voir
et davantage à l’écrire

De temps en temps
je le vois descendre
le tronc d’un grand frêne
pour boire dans la Coudre
ou hanter les cimes
du chemin creux du clos Fontaine

É dans l’abécédaire enfantin
il en va de l’écureuil
comme des petits oiseaux
il n’aime pas rester
là où l’on peut l’observer
et vaque à l’opposé

Continuer la lecture de « Qui ponctue l’arbre ? »

Le mort-bois

Ramasseur de mort-bois, je suis
marche, ramasse, cueille
et personne n’a le droit
de me molester pour ça
précise la Charte aux Normands
obtenue en mille trois cent quinze
du roi Louis dix le Hutin

Le mort-bois n’est pas du bois mort
expliquent les vieux traités de droit
mais du bois vert de peu de valeur
dont les fruits sont méprisés
dont on ne fera ni planche ni poutre

Continuer la lecture de « Le mort-bois »

Marsault

Mars, oh, c’est le printemps
et chatons de saule dans le vent
Marceau, jeune général plein d’allant
de la République naissante
Marceau, qu’est-ce que tu mimes
Marsaut, marsault, réponds-moi
Je ne peux converser avec toi
si tu joues à cache-cache

Tu diffères par tes feuilles ovales
souvent tordues à la pointe
veloutées par en dessous
tes racines qui n’aiment pas l’eau
mais peuvent retenir la pente
ton bois plus cassant
et on te vanne surtout en montagne

Continuer la lecture de « Marsault »

Exils du thuya

Photo Kalaloch Redcedar, Woodley Wonderworks

En Europe, pour masquer
nos médiocres châteaux
périphériques et empêcher
qu’on voie qu’il ne s’y passe rien
nous avons planté des haies opaques
de béton vert, nanifié, taillé, retaillé
Thuja occidentalis ou Thuja plicata
que les pépinières continuent à vendre

Son feuillage étrange et odorant
dont les écailles vertes ressemblent
à des arbres miniatures
formés d’autres arbres encore plus petits
remonte à des ères dinosauresques

Boudé par les oiseaux, acidifiant la terre
il repousse les insectes
sauf un, le bupreste du genévrier
qui l’a ajouté à son régime
et ne se gêne pas pour l’exterminer
Les thuyas américains sont déjà
interdits par certains de nos voisins

Au nord-est Thuja occidentalis, exporté
dans les bateaux de Jacques Cartier
et confondu avec l’annedda
qui a sauvé son équipage du scorbut
si bien qu’il se retrouve baptisé
Arbor vitae, arbre de vie
dans les jardins du roi François

Chez lui, il s’appelait grand-mère giizhik
avec grand-père bouleau
il protégeait les Ojibwas
dans ce monde-ci et dans l’autre

Continuer la lecture de « Exils du thuya »

Douce-amère

À Radio l’OMbre

Écrire simplement
« morelle douce-amère »
c’est déjà un poème
de la famille des volubiles
qui accroche aux arbres
feuilles, fruits et fleurs
simultanément

Tout de suite
amie solitaire, excentrique
de la fraîcheur du sous-bois
et des berges du torrent
robe de feuilles pointues et veloutées
étole de fleurs
violettes et jaunes
de fruits verts puis rouges
miniatures tomates de ciel
toxiques et hallucinantes

Piratant, petite More, elle
les branches des autres
y jetant ses grappins
à l’abordage, pourtant
beauté fragile, précaire
Pas si loin l’été calcine tout
et des forêts brûlent
de l’Ardèche à Brocéliande

Solanum dulcamara
Petite Maure, elle,
on soupçonne
qu’elle ensorcelle
ou empoisonne
car les fruits de sa sœur
mûrissent noirs

Continuer la lecture de « Douce-amère »

Sainte Lucie de mahaleb

À André

Naïvement, il me semble
je m’obstine, vieil enfant
à demander le nom
des arbres qui m’entourent
pour les saluer, les reconnaître

Pourtant aujourd’hui, j’en découvre
un que j’avais sous les yeux
depuis des décennies sans le voir
faute de savoir l’appeler
Maintenant il vient à ma rencontre
aux lisières de chaque déambulation

Peut-être comme l’alisier blanc
l’amélanchier, le cornouiller
s’ingénie-t-il à remplacer
les vieux buis brûlés
par les chenilles de la pyrale

Écorce de cerisier quand il est jeune
qui noircit avec le temps
petites feuilles de bouleau ou de peuplier
finement dentelées, et surtout à l’été
d’étonnantes cerises miniatures
qui s’ancrent à angle droit sur les tiges
tant elles sont légères

D’où vient-il, Prunus mahaleb
ce voyageur trapu et chiffonné
bois de sainte Lucie ?
Pour une fois, ça paraît simple

Continuer la lecture de « Sainte Lucie de mahaleb »

Prunellier

À mes nièces Prunelle et Iris

Pour le prunellier,
je voudrais un poème simple et acéré
comme une épine
qui irait droit au cœur

Ou mieux encore plongerait en léthargie
les moteurs et machines
et l’on n’entendrait plus
que les pinsons et mésanges
Ils font du bien à l’âme humaine
qui se souvient d’avoir été oiselle

Jubilation fraîche
du premier printemps, prunellier
met ses dentelles
immaculées à sécher
blanches à contre-azur
sans feuilles, tout en fleurs
au bout des épines noires Continuer la lecture de « Prunellier »

Saule du nouvel an

À fréquenter le vieux
saule têtard chevelu
sorcier de la Gaule
au bord du terrain de foot
saule blanc, j’imagine
me revient toute la cohorte
des marais, rives et fossés
marsault, vime
osier multicolore
lusse, gravange
saule fragile

avec le saule
baguette d’Hermès
espérons voir l’an
gagner en légèreté
et souplesse, flexibilité, rebond
monter vers les cimes

avec le saule
découvrir les secrets d’endurance
et d’optimisme du castor
toujours à bâtir, à rebâtir
sans découragement
dopé à l’acide salicilyque
ou pas, pour l’année

Continuer la lecture de « Saule du nouvel an »

L’obier de la Corbionne

Faut avouer
suis amoureux
d’un buisson
fort percheron
à en croire
l’Atlas des plantes sauvages
de l’Orne
qui peut atteindre
deux ou trois mètres
viorne obier
Viburnum opulus

Je la cherche
et ne la trouve pas souvent
pourtant, comme la poésie, mais

opulente et sauvage
une aube poétique lève
toute blanche
dans la sève
de la vieille langue
Aubour, albor
écrit le Roman d’Énéas

Continuer la lecture de « L’obier de la Corbionne »

Vocation de l’arbre

Comme ils restent de bois, ne cheminent pas, ne s’agitent guère sauf quand le vent souffle, comme nous les retrouvons quand nous les avons plantés là, nous peinons à comprendre qu’ils font davantage que de passivement offrir des fruits, un refuge, de l’ombre, de la fraîcheur, un perchoir. Tout juste nous espérons qu’ils puissent absorber l’excès de dioxyde de carbone que nous avons diffusé dans l’atmosphère.

Chaque arbre est un monde qui porte ses forêts de lichen et de mousse, ses tribus variées d’insectes, d’araignées ou de cloportes, et combien de continents pour des animalcules invisibles. Comme des bergers sur leurs échasses, ils prennent soin des troupeaux du vivant.

Leur action mystérieuse ne s’explique pas toujours : dès qu’on entre sous leur voûte verte, les muscles des épaules et de la nuque perdent leur raideur. On y prend une idée plus raisonnable de notre importance et de la brièveté de nos existences. Si vous couchez un bébé sous un arbre dans lequel les rayons du soleil jouent avec la transparence des feuilles, il cessera de s’énerver et de pleurer. Le malade guérira plus vite s’il voit un arbre par la fenêtre.

Continuer la lecture de « Vocation de l’arbre »