Le silence dans le texte ? Faire taire les discours, les clameurs, le bruissement même des mots. Où se réfugie le silence ? Dans les marges de la page, dans les « h » et « e » muets, dans toutes les lettres qui restent silencieuses ? Annoncer que l’on va dire quelque chose, puis le taire ; annoncer un mystère, puis l’escamoter. Fermer la parenthèse. Écrire puis desécrire, dire et contredire. Répéter les mots « abîme », «gouffre », « néant ». Délayer jusqu’à arriver à une concentration négligeable de sens et de sons. Ranger les violons, décrocher les écriteaux, débrancher la radio. Supprimer le narrateur, les personnages, les dialogues. Écrire en blanc sur fond blanc. Écrire blanc : « détruire, dit-il », multiplier les effets de transparence, courtiser les choses muettes, les miroirs et les cygnes. Écrire sans rien dire, aligner des banalités produirait encore un bruit de fond.
On reste à contempler le mutisme du désespoir, sans y entrer, car en ce lieu, les signes ne parviennent plus, ne sortent pas, s’annulent. On titube à la frontière.
Face au texte : le ver rongeur
Tandis que je construis un édifice de mots, un autre moi-même, niché dans le texte, dans ses bas-fonds, dans sa nuit, le ronge, le sape. Je bâtis le récit, il le mine. Je tisse les péripéties, il les dénoue. Je nourris mes personnages, il les décharne. Je les habille, il les dénude. Au fur et à mesure que j’écris, il désécrit. Il est prêt à tout pour arriver à ses fins. Ni le poignard ni l’incendie, ni le poison ne l’effraie.
Contraint et forcé, j’essaie de convenir avec ce nuisible, cette mite, ce ver fouisseur, d’un lieu de rencontre. Je mène dans l’obscurité du texte de fastidieuses négociations, mais il est inflexible. Rien, il ne veut rien me laisser. Ni la moitié du texte ni même le plus petit chapitre. Pire, il insulte mon travail, souille tout ce qu’il touche.
Alors, dans ma furie de le débusquer, j’arrache les mots, je décloue les phrases, je dénude la charpente, je démolis à mon tour. Et bien sûr, au milieu des ruines et des gravats, je ne trouve plus personne. Il faut recommencer, mais je sais qu’il réapparaîtra, dès que le texte offrira la moindre profondeur où se cacher.
Face au texte : sans issue
Écrivant, soudain se trouve désorienté. Rien n’indique plus quelle direction prendre au carrefour des phrases, s’il s’agit d’une comédie ou d’une tragédie. Quelque part, sans que l’on sache ni où ni quand, un compas s’est détraqué : et si cela ne menait nulle part ? À chaque mot, une bifurcation donne sur d’autres embranchements divergeant à leur tour… Tentant de rebrousser chemin, s’aperçoit qu’il efface au fur et à mesure qu’il recule ce qui s’était écrit si laborieusement jusque-là, et n’ose plus bouger. Enfin, reste perdu au dédale de son propre texte, dans un piège qu’il a lui-même secrété.
Face au texte : marécage
Au lieu de rester compact et sec, bien délimité, voici que le texte, gonflé par une eau sombre montée d’en dessous, devient marécageux, mouvant, s’écoule. On n’y progresse plus avec aisance, on s’y enfonce, s’y englue. Et l’eau continue à monter : les phrases se délitent, la langue se dissout, les points d’appui disparaissent. Menacent l’effondrement, le naufrage, la noyade dans la page.
Face au texte : fil du rasoir
À texte tendu, tranchant comme le fil du rasoir, auteur au pied léger, plutôt funambule, sinon le sang sur les lignes risque de dégoutter, risque de dégoûter.
Face au texte : nécessaire de lecture
A de plus en plus de mal à lire… Déjà, il lui fallait des lunettes, mais petit à petit, le texte lui posant des problèmes accrus, craignant de ne pas accéder à sa moelle, d’y rester coincé ou de s’y perdre, doit réunir un nécessaire de lecture de plus en plus encombrant : casse-noix, scalpel, pied-de-biche, boussole, lampe frontale, pique à bigorneaux, couteau à huîtres.
Face au texte : où se mettre
Illustration : Page-miroir de Rober Racine
Face à son texte, ne savait où se mettre : dessus, devant, il l’aurait masqué. Ayant la conscience vague que la juste position serait en marge, ou en bas de page, à la manière d’une note, mais n’y tenant pas, se démène, fouisse, farfouille, au point de se retrouver, ne sait comment, de l’autre côté du texte, dans la pénombre. Là, les signes sont inversés et illisibles, c’est absurde et inconfortable, malgré un courant d’air frais.
Ultérieurement, pour épater la galerie, voulant bêtement rééditer, l’exploit qui lui avait ménagé un espace de l’autre côté du texte, tente de s’y faufiler, mais reste pris dans la trame, dans le réseau tendu et inextricable des phrases, qui lui refusent le passage, le ligotant proprement dans leurs barbelures.
Et encore, autre tentative, s’emmêle dans les rideaux poussiéreux des coulisses du texte, parmi les accessoires vétustes, les masques défaits, s’étouffe dans les plis et replis, sans jamais retrouver ni le début ni la fin.
Épuisé par ces échecs, considérablement amoindri, est achevé par les récriminations bruyantes des lecteurs, qui n’ayant pas trouvé leur place dans le texte, désertent définitivement la page avec une grande clameur.
Graphomanie
Nouveaux ateliers Ancêtres à Bagneux (92)
D’OÙ VENONS-NOUS ?
Jeune ou moins jeune, vous pensez quelquefois au passé, à votre généalogie, à l’histoire de votre famille ?
Vous aimeriez raconter ou écrire, discuter ou sculpter, coudre ou monter sur scène pour faire revivre des ancêtres réels ou imaginaires ?
Jean-Baptiste Evette et le collectif des Grandes Personnes, avec la direction des actions culturelles et l’espace senior de la ville de Bagneux, proposent un atelier de création du spectacle Ancêtres qui sera représenté pendant la fête des Vendanges 2015.
Calendrier des ateliers Ancêtres :
Ateliers écriture, sculpture, structures, couture, etc. : 19 mai (CSC Gueffier), 26 mai (médiathèque), 2 , 9, 16, 23 et 30 Juin 2015 (Espace senior)
Renseignements et inscriptions : 01 42 31 62 12

Fûts
Les arbres qu’érigent les hommes dressent des fûts uniformément rectilignes ; leurs guirlandes, électriques ou téléphoniques, ne possèdent pas la grâce sauvage et baroque du lierre, de la viorne, de la ronce, de l’églantine du fusain, de la bryone, qui lient ou mêlent leurs tiges à des branches vives et torses, y accrochent des fruits à plumet, rouges, oranges, ou des grains presque violets. Quand d’aventure le vent les renverse, la dignité dont l’arbre ne se départit jamais, même couché, manque à ces poteaux que l’on baptise parfois prétentieusement « pylônes », comme quelque architecture antique.