À quoi je brûle mon temps
Aimable et prosaïque, le noisetier

Le noisetier, ce n’est pas tellement en termes de tronc qu’il croît, plutôt par faisceaux ou par jaillissements de baliveaux. Son individu est pluriel.
Pour se multiplier, le noisetier drageonne ou renaît bien sûr de la noisette, petite noix.
Alors que le noisetier et le noyer diffèrent du tout au tout, des feuilles gaufrées et légères de l’un, denses et vernissées de l’autre, aux troncs lisses ici, rugueux là, jusqu’à la qualité de l’ombre qu’ils dispensent, leurs fruits ont en commun d’être de petits mondes obscurs et clos, protégés d’une coque qui semble elle aussi de bois.
On s’étonne d’ailleurs du pouvoir de germination de ces globes rigides comme des casques, de leur fermeture rigoureuse, ils font figure de minuscules coffres au trésor. Il y a tout un prudent travail de décortication à mener pour accéder à la denrée aussi savoureuse que précieuse qu’ils enferment, comme quelquefois le poème.
Qu’on le coupe, l’arase, le déracine, cela n’arrête pas le noisetier, n’use pas sa détermination. Reparti d’en dessous, il remonte à l’assaut de la lumière, agile et souple.
Ici ou là, on nommait le noisetier « avelinier », « coudre » ou « coudrier », le bosquet où il poussait « coudraie » ou « coudrette »… Décidément, il apparaît souvent comme le reflet, amoindri par un diminutif, d’un aîné absent et plus majestueux : sur le blason, trois de ses fruits réunis s’appellent « coquerelles ».
Pourtant, il a ses vertus, il est l’ami des vanniers ; en baguette, il déniche les sources cachées ; depuis toujours, il abrite volontiers les idylles champêtres. Sa vigueur enfin est explosive : « Son charbon, très léger, est excellent pour la fabrication de la poudre à canon », écrivait le vieux Larousse. Mieux, encore, si l’on arrête à temps le processus de calcination, le bâtonnet de coudrier permet, comme celui du fusain, de dessiner ou d’écrire.
Assier romanesque
J’ai été invité par l’association Reissa et la librairie de Figeac « Les mots en fête » à une rencontre-lecture au caf’causse d’Assier dans le Lot. Chaleureux et encourageant ! Merci à tous.
Archives : dialogue avec Jean Rouaud, à la bibliothèque d’Achères en 2006
Brouillon manuscrit d’un texte à venir
Gloire de l’épine
Je voudrais aussi proférer l’éloge des arbres qui ne sont pas de haute futaie ou de vieux lignage. Gloire, donc, au buisson épineux et antipathique, à l’obscur conquérant des pentes rocailleuses et ingrates, des sous-bois mal éclairés.
S’il ne domine pas, si son tronc est souvent trop irrégulier pour servir le menuisier ou l’ébéniste, n’est-il pas tout autant arbre que d’autres essences plus révérées, et peut-être davantage même, par sa sauvagerie ?
Gloire au houx, sans doute, car ses feuilles hérissées restent vertes, et ses baies sont toxiques, mais aussi au genévrier, sombre et piquant, dont les grains noirs et fripés aromatisent les alcools du nord. On n’y grimpe pas !
Celui qui serait tenté d’étreindre l’aubépine, parce que ses fleurs sont mousseuses et blanches comme une robe de mariée, parce qu’elle diffuse un parfum parfois suffoquant, risque bien de s’y déchirer, mais célébrons-la !
Quelle séduction dans les pointes aiguës du prunellier, dans ses fruits spectaculaires, bleus ou violets, finement poudrés, charnus et délicieusement immangeables ! Il nous offre à la fois la quenouille de la Belle au bois dormant et sa bouche froide et âpre.
Le temps requis pour un arbre
Photo Pierre-Alain Touge
La difficulté, quand on écrit à propos des arbres, c’est le temps requis pour que pousse le texte. Il faut qu’il germe d’un noyau, d’un simple pépin, concis et hermétique, où il gît endormi, tout entier en potentialité. Lançant à l’aveugle une radicule, petite racine, que la linguistique nommerait plutôt radical ou lexème, il tente un ancrage dans le réel, une agrégation à d’autres mots.
Si cet essai réussit, une tigelle s’érige, minuscule début, terminé par deux cotylédons, d’un mot grec qui signifie « cavité », tant il est vrai que tout cela se passe dans un creux. Les cotylédons ressemblent à des feuilles, mais n’en sont pas. Et combien de fois nous lâchons le texte pour son ombre. Cotylédon dit-on aussi dans le domaine de l’embryologie et du mystère de l’enfantement.
C’est un moment d’intense fragilité, un rien peut assécher cette pousse, la tuer et l’envoyer rejoindre l’immense cimetière intérieur des poèmes rêvés plutôt qu’écrits. Si peu d’entre eux deviendront des arbres aux grandes ramures !
Pendant cette période hivernale, le germe se nourrit essentiellement de lui-même, dans un solipsisme qui exclut tout lecteur. L’ombre, l’humidité et le secret lui sont indispensables : une affaire souterraine et ténébreuse qui macère, qui fermente.
Puis deux feuilles, véritables cette fois-ci, se déploient. Pour elles, on parle de nervures, de limbe, de marge. Tout est question de limites, et le texte n’existe que par ce qu’il exclut. Il se retranche du reste, s’innerve, se tisse.
Et quelquefois cette étrange chimie produit le miracle d’un arbre qui devient solide en restant vivant, dont l’ombrage abrite, oxygène, avec invention de feuilles par dizaines, sur lesquelles la Sibylle écrit ses oracles livrés au vent.
Souvenir d’Ancêtres, création collective à Aubervilliers
Sept ateliers d’écriture menés au foyer du théâtre de la Commune à Aubervilliers fin 2012 et début 2013 avec des publics accueillis par l’Association Solidarité Emploi d’Aubervilliers (ASEA) et des résidents du nord de la région parisienne ont conduit à l’élaboration d’un spectacle d’objet qui aborde des sujets très divers, le mariage, l’enfantement, les amours contrariées, la colonisation, l’exode vers les villes. Où l’on s’aperçoit que les ancêtres choisis ont pour la plupart transgressé à un moment clé de leur vie les normes sociales en vigueur dans leur région, ce qui les a transformés en voyageurs et en fondateurs !
Marseille, théâtre Massalia, le samedi 29 novembre
Avec Christophe Evette, de la compagnie les Grandes Personnes, et de nombreux autres je participerai à une réflexion sur le théâtre documentaire et la marionnette organisée par Themaa, en partenariat avec le MUCEM en à partir de 15 h au théâtre Massalia.