Les royaumes celtiques dans ma chambre

L'Épopée celtique d'IrlandePendant quelques années, privilège d’aîné, sans doute, j’ai eu une chambre à moi dans l’appartement familial, avant d’occuper la chambre de bonne à l’étage. Cette chambre conservait la bibliothèque commune de mon père et de ma mère, alors qu’ils étaient déjà séparés : planches bleu ciel dans une structure métallique noire. Je me méfiais un peu des titres qui s’y trouvaient, et je les lisais peu. La même antipathie spontanée m’écartait de la liste des romans ayant obtenu le prix Goncourt que m’offrit systématiquement pendant quelques années ma grand-mère Marguerite. Quand les Celtes arrivent, je suis malade, et alité pour plusieurs jours. Décidément, certains de mes souvenirs de lecture les plus intenses sont liés à des épisodes de maladie ; j’ai lu La Peste de Camus dans un train qui revenait de Toulouse, et la fièvre s’ajoutant à la chaleur caniculaire me couvrait de sueur. Le front appuyé contre la vitre un peu plus fraiche, je souffris des premiers symptômes de la peste.
Ma mère va m’acheter des livres que j’ai choisis un peu hasard sur un catalogue de la Petite Bibliothèque Payot que je connais à cause des ouvrages sur l’Antiquité qu’elle a parfois publiés. Il s’agit de Jean Markale, L’Épopée celtique en Bretagne (1975) et L’Épopée celtique d’Irlande (1979). Markale a mauvaise réputation parmi les celtisants, il s’est parfois livré à des traductions de traduction etc., mais je lui dois la découverte du domaine celtique, des Mabinogion, des légendes du cycle d’Ulster. Ce fut une révélation, les druides, les bardes dont la formation comprend une nuit passée à composer un poème sans le secours de la plume, avec une grosse pierre posée sur la poitrine, les figures de dieux païens à peine déguisés par des copistes chrétiens, la fureur épique d’un héros qui s’appelle « Chien », un visage plus archaïque du roi Arthur, des jeunes filles changées en cygne, une atmosphère de sorcellerie, mais aussi des scènes hautement comiques, mêlées aux épopées les plus sérieuses. Je tombai amoureux de la classification des textes en fonction de leur contenu pratiquée par les scribes irlandais du Moyen Âge, les courtises, les morts violentes, les razzias de bétail, les voyages lointains, au point que je partis à Dublin pour les étudier plus en détail.

Une vie dans les livres

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