La trame des racines

Ni espion
Ni délateur
Ni prophète de malheur
je me trouve obligé pourtant de

J’ai constaté
des manigances secrètes qui
à l’insu de tous

Sous la surface
oui, toujours sous la surface

En sous-sol, vraiment en sous-sol
tout un équipement
des réseaux
des connexions

Je ne suis pas fou
Je sais que d’autres
l’ ont remarqué

Ça ourdit
dans l’obscurité
dans le silence
une conspiration

Ça tisse ses menées
très lentement
Rhizome ou mycélium
une trame tentaculaire
s’étend

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Simplement le saule

Saules têtards

Planté en des lieux
mouillés et froids
spongieux parfois
où nous ne nous installerions pas
le saule inspire
à la vieille Encyclopédie
qui se disait pourtant
« Dictionnaire raisonné »
l’idée médiévale
d’une fraîcheur tellement intense
qu’elle éteindrait les brûlures
et rendrait stérile
voire impuissant

Si le saule est d’une famille
qui s’hybride à plaisir
on n’est pas certain
que les unions avec la mystérieuse fiancée
froide et pâle, à la taille flexible
rencontré sous son ombre
puissent être heureuses ou fécondes

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La lyre, le saule pleureur et Boney M.

Même s’il offre de belles cabanes
s’il ombrage des tombeaux célèbres
il se montre aux parcs et jardins
trop décoratif pour m’émouvoir
trop manifestement romantique

Il ne m’aurait pas intéressé
s’il ne s’appelait
Salix babylonica
saule de Babylone

Pourquoi de Babylone
alors qu’il vient de Chine ?

Encore un tour de Carl von Linné
qui connaissait son psaume cent trente-sept
sur le bout des doigts
et qui se rêvait en nouvel Adam
retrouvant les noms
cachés dans la création

Nos anciens en captivité
n’avaient pas envie de chanter
pour distraire leurs maîtres
Ils pleuraient assis
près des fleuves de Babylone
et ils avaient suspendu
leurs lyres aux saules de la rive

By the rivers of Babylon
claironnait Boney M
en l’année mille neuf cent soixante-dix-huit
de ma jeunesse
mais je ne savais pas
qu’ils reprenaient
les Melodians de mille neuf cent soixante-neuf
qui reprenaient eux-mêmes…
Mais cette version un peu édulcorée du psaume
oublie le saule
et encore autre chose

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Blanc, le frêne

Élancée, éprise de symétrie
cette essence nordique
porte une feuille composée
qui rassemble plusieurs petites feuilles
appelées folioles
comme celle du sureau ou du robinier
Où l’on est heureux d’apprendre
que ce qui paraît multiple
forme parfois un tout

Son feuillage
se faisait fourrage
Si le foin venait à manquer
on coupait ses rameaux
pour nourrir les animaux

Une étymologie de fantaisie
l’associe à la foudre
Selon Pline l’Ancien
les serpents fuyaient son ombre

On dit aussi que l’arbre Yggdrasil
l’axe du monde des anciens Scandinaves
était un frêne
unissant ciel, terre et enfers
Elfes habitant la cime
aigle dans la ramure
serpent monstrueux dans les racines
D’ailleurs ton accent circonflexe
cache bien un « S », ô frêne,
anciennement « fresne »
Arbre tremblant
arbre du monde

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Noir sureau

Sombre et tavelé
dans la haie, appuyé à la ruine
ou au bord du ruisseau
sur le bord du fossé
voici le sureau
dont le feuillage, dit-on
exhale une odeur sure

Accroupi dans un recoin de mon enfance
noueux et cassant
plus buisson ou arbuste qu’arbre
celui-ci ne vous donnera
ni bois de chauffage
ni planche, ni piquet

Ami de l’ortie et de la ronce
il est de ces voisins
à qui l’on n’accorde pas un regard
même, on le bafoue
le bouscule, le rabat
Le fermier le soir
pisse dessus sans se gêner
reste-t-il indifférent
à ces mauvais traitements ?

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L’acacia falsifié

L’acacia m’apprend-on est un faux acacia
Quoi, notre monnaie serait de la fausse monnaie ?
notre prophète, un faux prophète ?
Qu’il est troublant
de voir un arbre plutôt familier
ainsi dénoncé

Le nom acacia pourtant
comme l’arbre, portait épine
signale l’étymologie
du verbe sanskrit
piquer ou percer

Le grammairien Gilles Ménage
pense qu’il vient de Barbarie
et l’appelle acacia robini
acacia de Robin
Robin quoi ?
Robin des bois ?

Carl von Linné
plus avisé
le baptise
robinier faux acacia
mais Robin pourquoi ?

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Va châtaignier

Qui place une bûche de châtaignier dans son feu se verra récompensé par des détonations sèches, des projections d’escarbilles enflammées. Est-ce l’indice d’un tempérament incendiaire ? Dès l’abord, faut-il craindre avalanche de châtaignes, marrons, castagne féroce ? De vrai les piquants des bogues sont hostiles, le fruit explose s’il n’est pas incisé, et jusqu’aux jeunes feuilles gaufrées, lancéolées, qui présentent comme des dents de scie. C’est un rebelle, un irascible.
Assurément, si l’arbre tentateur du jardin d’Eden avait été un châtaignier, et qu’Ève avait proposé à Adam de mordre dans ce fruit dur et armé, — Jamais de la vie, mon aimée ! l’humanité aurait continué à vivre nue et sans péché.
Comme la nôtre, son écorce d’abord lisse et douce, se fendille et se plisse avec l’âge ; s’il est comme nous dur au labeur, s’il ne répugne pas aux besognes modestes, être planté en piquet, en échalas, tendre un parquet, porter les tuiles en lattis, son bois, contrairement au nôtre, est réputé imputrescible, et le châtaignier souvent reste debout, même mort.
Comme il repart bien de la souche, on le voit souvent en taillis, plutôt jeune, mais si on respecte son intégrité, si on lui laisse la place, le châtaignier vivra bien mille ans, et nous construira un géant bien ramuré.
S’il est plus cévenol, plus ardéchois que normand, on le rencontre tout de même ici, pas dans la vallée et dans la glaise, mais au flanc des collines, dans les sablonnières, parmi les silex, et, en saison, les châtaignes dévalent dans les chemins creux.
Provende à écureuils, à cochons ? Pas seulement, « chauds les marrons ! », crie-t-on en hiver, dans les villes. Quant aux campagnes, farine et pain aux époques de disette. Une fois par an, ces fruits rustiques et frustres se muent même en sucreries de luxe.
Si j’estime le châtaignier, ce n’est pas seulement parce que j’espère, comme lui, une fois défunt, faire exploser la chaudière du crématorium ; parce qu’il est, comme moi, plus apparenté au hérisson qu’à l’ours en peluche, c’est aussi à cause de la couleur, châtain, de la chevelure d’une que j’aimai jadis.

Photo : Châtaignier Petit-Jean © Eddie Awalludin

Remarque pour le chêne

Chêne de la Réserve biologique de la tourbière des Froux

Donnez-lui une cupule, un gland
le petit littérateur rimaillera gentiment
Mais face au chêne, grand
devant le chêne, sous ses branches
un scrupule le prend
Il ferait presque la révérence
Le silence se fait

Le chêne, pas d’affinités
avec le mot
plutôt mutisme
traversé de souffles, de bruissements
Le chêne ne bavarde pas, n’affabule pas
Ses murmures, on en a l’intuition, sont sacrés
autant qu’ardus à interpréter
Si son écorce et son bois rude
habillent un esprit dryade
à la peau douce
elle ne parle pas notre langue

Comme d’autres géants
son évidence n’a pas de nom
car il est
il est plus évidemment que nous ne sommes
plus durablement aussi
plus rugueux, plus grenu, plus robuste, plus ramifié
davantage et mieux
On ne le présente pas
car il est déjà là, toujours
Son front fait fi des couronnes
n’a pas besoin de lauriers
Tout simplement il règne

Il triomphe, innommé
même si l’on s’enfonçait dans les racines
fouillait les généalogies
cassanos, quercus, robur, drus ?
S’il eut jadis un nom
ce mot est devenu synonyme d’arbre
Perplexité au chêne
De quel bois je me chauffe ?
De quel bois je suis fait ?
De quel bois fut construit le navire Argo
Qui conquit la toison et devint constellation ?
De quel bois la lance roide ?

Qui aurait pu saisir ses cheveux
plier son col
lui tremper la tête dans l’onde
pour le baptiser ?

Si enfin le littérateur se tait
le silence sera-t-il chêne ?

Debout

Arbres_debout

Debout
en pleine nuit
sous les étoiles
et encore
à l’aurore
Debout
quand tous
sont couchés
Ermite
veilleur
sentinelle
sur la lisière
Vigie de la haute mâture
debout
dans la pluie
dans le vent
debout
Ondulant
faséyant
mais debout
Témoin
aux aguets
aux essarts
Selon les saisons
rêveur éveillé
mage
mécène
ou ascète
Toujours debout
simplement debout

Se piquer d’érudition

L’églantier
Sur le buisson dardant de l’églantier se greffe un tel concours de mots et d’érudition qu’il est un sujet épineux. Appelé au Moyen Âge aiglant puis aiglantier, il montrerait des affinités avec l’air et le vol, tout autant qu’avec le bec ou la serre. À en croire mon vieux Larousse, on retrouve écrit dans son nom un antique verbe sanskrit, , traverser, être tranchant, aigu, acéré, comme, par exemple, açri, fil ou tranchant de l’épée ; âçi, crochet de serpent.
Ancêtre rustique, rude, rustre de la rose, sa floraison déploie cependant cinq pétales d’un éclat délicat, d’une nuance raffinée. Elle est à la fois discrète et remarquable, puisqu’elle bénéficie d’un nom bien distinct de celui de l’arbuste, églantine, d’où l’on baptisa beaucoup de jeunes filles en fleur.
Dans la haie, ses tiges s’arment d’aiguillons recourbés, mais, par paradoxe, notre flore campagnarde se parant de jolies bondieuseries, ses fleurs rappellent la rosa sine spina, rose mystique sans épines, mère du Christ. Elles marient un symbole de féminité et de douceur avec les douloureux piquants de la couronne du crucifié.
Sa rusticité ne va pas sans une vulgarité de bon aloi. Son nom savant est bien entendu latin, rosa canina, celui de son fruit, grec, cynorhodon, rosier du chien, parce qu’il aurait guéri les morsures, dit-on. Je préfère imaginer qu’il était la plante favorite des philosophes cyniques. D’ailleurs le cynorhodon s’appelle aussi gratte-cul, et les cyniques aimaient choquer et irriter, davantage que dispenser confiture ou sirop.
L’églantier sait aussi se parer d’une efflorescence étrange et chevelue, qui porte le nom cartographique arabo-persan de bédégar, rose du vent, provoquée par la pondaison d’une guêpe dite cynips.
Peu exigeant, l’églantier se bouture, se marcotte, se rejette, il est du bois dont on fait les fagots, et sur ce mot, je doute qu’on me pare de l’églantine décernée au meilleur poète des jeux floraux de Toulouse.