Debout

Arbres_debout

Debout
en pleine nuit
sous les étoiles
et encore
à l’aurore
Debout
quand tous
sont couchés
Ermite
veilleur
sentinelle
sur la lisière
Vigie de la haute mâture
debout
dans la pluie
dans le vent
debout
Ondulant
faséyant
mais debout
Témoin
aux aguets
aux essarts
Selon les saisons
rêveur éveillé
mage
mécène
ou ascète
Toujours debout
simplement debout

Se piquer d’érudition

L’églantier
Sur le buisson dardant de l’églantier se greffe un tel concours de mots et d’érudition qu’il est un sujet épineux. Appelé au Moyen Âge aiglant puis aiglantier, il montrerait des affinités avec l’air et le vol, tout autant qu’avec le bec ou la serre. À en croire mon vieux Larousse, on retrouve écrit dans son nom un antique verbe sanskrit, , traverser, être tranchant, aigu, acéré, comme, par exemple, açri, fil ou tranchant de l’épée ; âçi, crochet de serpent.
Ancêtre rustique, rude, rustre de la rose, sa floraison déploie cependant cinq pétales d’un éclat délicat, d’une nuance raffinée. Elle est à la fois discrète et remarquable, puisqu’elle bénéficie d’un nom bien distinct de celui de l’arbuste, églantine, d’où l’on baptisa beaucoup de jeunes filles en fleur.
Dans la haie, ses tiges s’arment d’aiguillons recourbés, mais, par paradoxe, notre flore campagnarde se parant de jolies bondieuseries, ses fleurs rappellent la rosa sine spina, rose mystique sans épines, mère du Christ. Elles marient un symbole de féminité et de douceur avec les douloureux piquants de la couronne du crucifié.
Sa rusticité ne va pas sans une vulgarité de bon aloi. Son nom savant est bien entendu latin, rosa canina, celui de son fruit, grec, cynorhodon, rosier du chien, parce qu’il aurait guéri les morsures, dit-on. Je préfère imaginer qu’il était la plante favorite des philosophes cyniques. D’ailleurs le cynorhodon s’appelle aussi gratte-cul, et les cyniques aimaient choquer et irriter, davantage que dispenser confiture ou sirop.
L’églantier sait aussi se parer d’une efflorescence étrange et chevelue, qui porte le nom cartographique arabo-persan de bédégar, rose du vent, provoquée par la pondaison d’une guêpe dite cynips.
Peu exigeant, l’églantier se bouture, se marcotte, se rejette, il est du bois dont on fait les fagots, et sur ce mot, je doute qu’on me pare de l’églantine décernée au meilleur poète des jeux floraux de Toulouse.

Mortes


Nécessaire réfutation
Par une nuit venteuse, il est apparu que les feuilles qui se détachent des arbres ne sont pas mortes pour autant, pour l’autan.
D’où une nécessaire réfutation du qualificatif « morte ».
Dentelées, gladiées, lancéolées, lyrées, pennées, avec leur vol dense, avec leur tourbillon d’ailes de chauves souris, elles guerroient, elles dansent, et le doute n’est plus permis.
Vives, elles courent, jusqu’à ce que la pluie les alourdisse et les colle au sol, comme autant de petits Icare, dont le désir de liberté aurait été châtié par l’automne.

Fûts

églantine

Les arbres qu’érigent les hommes dressent des fûts uniformément rectilignes ; leurs guirlandes, électriques ou téléphoniques, ne possèdent pas la grâce sauvage et baroque du lierre, de la viorne, de la ronce, de l’églantine du fusain, de la bryone, qui lient ou mêlent leurs tiges à des branches vives et torses, y accrochent des fruits à plumet, rouges, oranges, ou des grains presque violets. Quand d’aventure le vent les renverse, la dignité dont l’arbre ne se départit jamais, même couché, manque à ces poteaux que l’on baptise parfois prétentieusement « pylônes », comme quelque architecture antique.

Aimable et prosaïque, le noisetier

Noisetier, image base Joconde

Le noisetier, ce n’est pas tellement en termes de tronc qu’il croît, plutôt par faisceaux ou par jaillissements de baliveaux. Son individu est pluriel.
Pour se multiplier, le noisetier drageonne ou renaît bien sûr de la noisette, petite noix.
Alors que le noisetier et le noyer diffèrent du tout au tout, des feuilles gaufrées et légères de l’un, denses et vernissées de l’autre, aux troncs lisses ici, rugueux là, jusqu’à la qualité de l’ombre qu’ils dispensent, leurs fruits ont en commun d’être de petits mondes obscurs et clos, protégés d’une coque qui semble elle aussi de bois.
On s’étonne d’ailleurs du pouvoir de germination de ces globes rigides comme des casques, de leur fermeture rigoureuse, ils font figure de minuscules coffres au trésor. Il y a tout un prudent travail de décortication à mener pour accéder à la denrée aussi savoureuse que précieuse qu’ils enferment, comme quelquefois le poème.
Qu’on le coupe, l’arase, le déracine, cela n’arrête pas le noisetier, n’use pas sa détermination. Reparti d’en dessous, il remonte à l’assaut de la lumière, agile et souple.
Ici ou là, on nommait le noisetier « avelinier », « coudre » ou « coudrier », le bosquet où il poussait « coudraie » ou « coudrette »… Décidément, il apparaît souvent comme le reflet, amoindri par un diminutif, d’un aîné absent et plus majestueux : sur le blason, trois de ses fruits réunis s’appellent « coquerelles ».
Pourtant, il a ses vertus, il est l’ami des vanniers ; en baguette, il déniche les sources cachées ; depuis toujours, il abrite volontiers les idylles champêtres. Sa vigueur enfin est explosive : « Son charbon, très léger, est excellent pour la fabrication de la poudre à canon », écrivait le vieux Larousse. Mieux, encore, si l’on arrête à temps le processus de calcination, le bâtonnet de coudrier permet, comme celui du fusain, de dessiner ou d’écrire.

Gloire de l’épine



Je voudrais aussi proférer l’éloge des arbres qui ne sont pas de haute futaie ou de vieux lignage. Gloire, donc, au buisson épineux et antipathique, à l’obscur conquérant des pentes rocailleuses et ingrates, des sous-bois mal éclairés.
S’il ne domine pas, si son tronc est souvent trop irrégulier pour servir le menuisier ou l’ébéniste, n’est-il pas tout autant arbre que d’autres essences plus révérées, et peut-être davantage même, par sa sauvagerie ?
Gloire au houx, sans doute, car ses feuilles hérissées restent vertes, et ses baies sont toxiques, mais aussi au genévrier, sombre et piquant, dont les grains noirs et fripés aromatisent les alcools du nord. On n’y grimpe pas !
Celui qui serait tenté d’étreindre l’aubépine, parce que ses fleurs sont mousseuses et blanches comme une robe de mariée, parce qu’elle diffuse un parfum parfois suffoquant, risque bien de s’y déchirer, mais célébrons-la !
Quelle séduction dans les pointes aiguës du prunellier, dans ses fruits spectaculaires, bleus ou violets, finement poudrés, charnus et délicieusement immangeables ! Il nous offre à la fois la quenouille de la Belle au bois dormant et sa bouche froide et âpre.

Le temps requis pour un arbre

Photo Pierre-Alain Touge
La difficulté, quand on écrit à propos des arbres, c’est le temps requis pour que pousse le texte. Il faut qu’il germe d’un noyau, d’un simple pépin, concis et hermétique, où il gît endormi, tout entier en potentialité. Lançant à l’aveugle une radicule, petite racine, que la linguistique nommerait plutôt radical ou lexème, il tente un ancrage dans le réel, une agrégation à d’autres mots.

Si cet essai réussit, une tigelle s’érige, minuscule début, terminé par deux cotylédons, d’un mot grec qui signifie « cavité », tant il est vrai que tout cela se passe dans un creux. Les cotylédons ressemblent à des feuilles, mais n’en sont pas. Et combien de fois nous lâchons le texte pour son ombre. Cotylédon dit-on aussi dans le domaine de l’embryologie et du mystère de l’enfantement.

C’est un moment d’intense fragilité, un rien peut assécher cette pousse, la tuer et l’envoyer rejoindre l’immense cimetière intérieur des poèmes rêvés plutôt qu’écrits. Si peu d’entre eux deviendront des arbres aux grandes ramures !

Pendant cette période hivernale, le germe se nourrit essentiellement de lui-même, dans un solipsisme qui exclut tout lecteur. L’ombre, l’humidité et le secret lui sont indispensables : une affaire souterraine et ténébreuse qui macère, qui fermente.

Puis deux feuilles, véritables cette fois-ci, se déploient. Pour elles, on parle de nervures, de limbe, de marge. Tout est question de limites, et le texte n’existe que par ce qu’il exclut. Il se retranche du reste, s’innerve, se tisse.

Et quelquefois cette étrange chimie produit le miracle d’un arbre qui devient solide en restant vivant, dont l’ombrage abrite, oxygène, avec invention de feuilles par dizaines, sur lesquelles la Sibylle écrit ses oracles livrés au vent.

Habiter sous l’écorce

Un jour, lassé d’être homme, on aspire à quelque chose de moins bavard, de plus charpenté, on veut habiter sous l’écorce, dans les téguments du bois. Montrer visage et tête de bois, déployer force de chêne. Choisir son lieu et s’y ancrer. Accéder à d’autres conciliablules, d’autres mystères par la circulation forte et silencieuse de la sève.

Têtards, trognes et trognards

Ces colosses aux tronches burinées et aux membres noueux ont grandi dans les haies, les prés et au bord des étangs. Parfois pieds dans l’eau, parfois racines saillantes, têtards, trognes ou trognards cultivent la largeur plus que la hauteur. Étêtés, mais non dépourvus de visage et d’esprit, ils arborent fièrement les cicatrices des tailles qui ont produit, sans les affaiblir, fagots, piquets, manches d’outil. Trapus et hirsutes, vraiment rustiques, ils sont plus gaulois que français, tant ils ont peu en commun avec la géométrie raffinée des ifs et des buis dans les parcs. Eux, ils sont chênes, charmes, peupliers ou saules, et leurs jardiniers furent paysans.

Retournement

À rester planté au pied des arbres, on éprouve un jour le besoin d’inverser le point de vue et de les regarder de haut, comme ils ont coutume de faire avec nous.

Cette perspective neuve, côté cime, n’a pas vraiment de nom… comment la baptiser ? Aviaire ou oiselière ? Pour considérer le sujet sous cet angle, on doit se tenir ne serait-ce qu’un instant en un point presque inaccessible et hautement inconfortable. Mais si l’on consent à cette acrobatie, en abordant la question à vol d’oiseau, quelle profondeur de vue on gagne ! On apprend la science de répartir le feuillage par rapport au zénith pour jouir plus largement de la caresse du soleil. Comme l’arbre révèle de légèreté ! Sa stratégie, comprend-on grâce à ce retournement, n’est pas seulement ligneuse et branchue, mais aussi mousseuse, empanachée, grêle, aérienne. Tellement plus mouvante ! Alors, l’arbre ressemble à une herbe.