Carpe diem ? « Cueille le jour » ?

Dites-moi ce que vous faites
de l’exhortation du vieil Horace
carpe diem quam minimum credula postero ?

Vous appliquez-vous
à cueillir le jour sans fonder vos espoirs
sur le lendemain ?

Obéissez-vous à Ronsard ?
« Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dés aujourd’huy les roses de la vie. »

L’effort paraît d’autant plus urgent
que le temps est compté
le mien, le nôtre
celui de l’humanité peut-être

Serions-nous
moins destructeurs
en nous penchant
plus tendrement
sur le présent ?

Félix Gaffiot
philologue du Doubs
me renseigne sur
les différents sens
de carpe

Je ne parle pas
du poisson
silencieux
mais du verbe latin
même si je prends bien note
que je serais peut-être
plus sage
de me taire

Le résultat est ambigu :
Arrache, détache, cueille
broute, déchire, lacère
divise, recueille
prends, goûte
respire, vis
parcours
gravis
harcèle
affaiblis
consume
ronge — le jour
ou l’instant

Ce dont nous jouissons
faut-il que nous le détruisions ?

Sommes-nous machines
à brouter, à incinérer
les moments de bonheur ?

Carpe diem, donc
Et si nous ne le cueillons pas
est-ce qu’un autre
pourra en profiter après nous ?

Carpe diem
Malheureusement
je n’y parviens
que par l’accident
d’un moment de grâce

Semis d’étoiles
Bourgeons saturés de vie
Fleurs précoces
le long du mur du cimetière
ou quelques vers de mirliton
arrachés au temps qui passe

S’agit-il d’une de ces injonctions
paradoxales
comme
– Sois plus spontané ?

Carpe diem
Quelque chose m’empêche
me déséquilibre
me travaille
quelque chose, je crois
de très humain
et je déserte
l’instant où je suis

L’inquiétude
l’impossibilité
de se tenir en repos
l’inextinguible élan
qui pousse
hors de l’instant
pour inventer

Inventer quoi ?
Inventer ailleurs
Inventer demain
Inventer un poème
sans savoir si
c’est en vain

Carpe diem
Est-il trop tard ?
Sûrement le temps
d’avant la fin du monde
d’avant l’embrasement général
nous réservera
quelques très belles journées
à partager

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