Remarque pour le chêne
Chêne de la Réserve biologique de la tourbière des Froux
Donnez-lui une cupule, un gland
le petit littérateur rimaillera gentiment
Mais face au chêne, grand
devant le chêne, sous ses branches
un scrupule le prend
Il ferait presque la révérence
Le silence se fait
Le chêne, pas d’affinités
avec le mot
plutôt mutisme
traversé de souffles, de bruissements
Le chêne ne bavarde pas, n’affabule pas
Ses murmures, on en a l’intuition, sont sacrés
autant qu’ardus à interpréter
Si son écorce et son bois rude
habillent un esprit dryade
à la peau douce
elle ne parle pas notre langue
Comme d’autres géants
son évidence n’a pas de nom
car il est
il est plus évidemment que nous ne sommes
plus durablement aussi
plus rugueux, plus grenu, plus robuste, plus ramifié
davantage et mieux
On ne le présente pas
car il est déjà là, toujours
Son front fait fi des couronnes
n’a pas besoin de lauriers
Tout simplement il règne
Il triomphe, innommé
même si l’on s’enfonçait dans les racines
fouillait les généalogies
cassanos, quercus, robur, drus ?
S’il eut jadis un nom
ce mot est devenu synonyme d’arbre
Perplexité au chêne
De quel bois je me chauffe ?
De quel bois je suis fait ?
De quel bois fut construit le navire Argo
Qui conquit la toison et devint constellation ?
De quel bois la lance roide ?
Qui aurait pu saisir ses cheveux
plier son col
lui tremper la tête dans l’onde
pour le baptiser ?
Si enfin le littérateur se tait
le silence sera-t-il chêne ?
Debout
Debout
en pleine nuit
sous les étoiles
et encore
à l’aurore
Debout
quand tous
sont couchés
Ermite
veilleur
sentinelle
sur la lisière
Vigie de la haute mâture
debout
dans la pluie
dans le vent
debout
Ondulant
faséyant
mais debout
Témoin
aux aguets
aux essarts
Selon les saisons
rêveur éveillé
mage
mécène
ou ascète
Toujours debout
simplement debout
Les 4 et 5 juin, Ancêtres à Nanterre
Comme les arbres, les ateliers d’écriture fleurissent et portent des fruits.
Ron Padgett et l’absence de la Bastille
La Bastille
La première fois que j’ai visité Paris
Je suis allé à l’endroit où la Bastille
s’était dressée, et bien que
J’y aie vu la colonne
J’étais trop conscient que
La Bastille n’y était pas :
Je n’ai pas su comment
Voir la vacuité.
Quand les gens vont voir
Les Twin Towers disparues
Ils semblent apprécier de ressentir
Le manque de quelque chose
Je n’aime pas être conscient
Que ma mère n’existe
Plus ou le sentiment d’en
Être conscient. Pardonnez-moi
De comparer ma mère
À un vaste édifice. Et aussi
De parler d’absence.
Le ciel rouge et noir
Au-dessus des toits
S’assombrit et les habitants
Se hâtent vers chez eux pour dîner.
J’espère vous revoir bientôt.
Ron Padgett, Nine Poems, in Jacket Magazine.
L’original anglais : Jackett Magazine.
La métaphysique du mot entrevue par un idiot
Un jour le mot a échappé à la voix
Un jour le mot s’est coupé de la voix
s’est tu
Couché sur une feuille d’écorce
couché sur une tablette d’argile
imprimé
a dit mot sans que personne ne parle
Un jour le mot s’est séparé de la présence
Le mot a déserté le théâtre de la parole et du corps
s’est extrait du rythme et du chant
Soudain le mot
message d’un absent à un absent
signe d’absence
Impression de son
Voix fantôme
voix sans chair
Définitif, permanent, le mot
griffé dans le papier
incisé dans la pierre
Tracé effrayant, rune menaçante
sur la borne, sur l’arbre, à la frontière
Un jour le mot a volé comme une flèche
a navigué, autres temps autres lieux
Un jour le mot s’est coupé de la voix et du souffle
s’est coupé de la vérité du corps
s’est désincarné
bandelettes et momies
A ouvert des abîmes d’absence
a murmuré des mensonges
Un jour le mot a mué, est devenu étranger à son ancien corps
l’a quitté comme on quitte une chrysalide
Un jour le mot est devenu écriture
un jour le mot est devenu bibliothèque
un jour le mot est devenu le parler des morts
plus encore que celui des vivants
Chez nous, chez eux
Chez nous, plus les tableaux aux murs sont nombreux, plus la vue en est réjouie ; au Japon, ils sont d’autant mieux appréciés qu’ils sont moins nombreux.
Nous plantons dans nos jardins, à dessein, des arbres qui portent des fruits ; les Japonais apprécient d’autant mieux leurs nivas, ou jardins, qu’ils ne donnent que des fleurs.
Nous avons des cheminées ; les Japonais des cotacçus couverts, au milieu de la maison.
Européens & Japonais, traité sur les contradictions et différences de mœurs, écrit par le R. P. Luis Frois au Japon, 1585, trad. Xavier de Castro [?], éditions Chandeigne, Paris.
Nouveaux ateliers d’écriture l’Eau de là
Bibliothèque Municipale, Square Pfalzgrafenweiler, 28240 LA LOUPE
Mardi 12 avril 2016 de 14h à 16h
Samedi 23 avril 2016 de 14h à 16h
Vous pouvez vous inscrire à l’une de ces dates ou aux deux… Et c’est gratuit ! Renseignements/Inscription au 0975 790 791
Vous êtes conviés à un atelier d’écriture et de parole gratuit avec le romancier et auteur de théâtre de rue Jean-Baptiste Evette pour examiner comment un récit, une émotion, une sensation peuvent se transformer en texte ou même en poème, individuel ou collectif.
Que vous souhaitiez prendre la plume, jouer avec les mots, apporter un document, une image, ou simplement raconter une histoire, un souvenir, vous êtes les bienvenus. Le thème prévu est l’eau, de la rivière à la source, sans oublier les poissons, les ondines ou les moulins. Peut-on rêver sujet plus porteur, plus profond et plus mystérieux ?
Cette aventure créative ne se fera pas sans vous…
Infortunes du poète
Après avoir passé de longues semaines, puis des mois et finalement des années à étudier la langue des morts pour pouvoir communiquer avec eux, le poète se trouva soudain démuni, lorsqu’il dut parler à nouveau avec des vivants. Plus personne ne le comprenait.
Au théâtre
Les deux textes que j'ai écrits avec et pour les Grandes Personnes joués dans un théâtre parisien.
Posté par Paul Lepic sur jeudi 10 mars 2016

