Rappelons la violence destructrice et salutaire de René Daumal

Il s’en faut que j’y parvienne ! Même dans la prose, dans la parole et l’écriture ordinaires, — comme dans tous les aspects de ma vie quotidienne — tout ce que je produis est gris, pie, souillé, mêlé de lumière et de nuit. Alors, je reprends la lutte après coup. Je me relis. Parmi mes phrases, je vois des mots, des expressions, des parasites qui ne servent pas la Chose-à-dire ; une image qui a voulu être étrange, un calembour qui s’est cru drôle, une pédanterie d’un certain cuistre qui devrait bien rester assis à son bureau, au lieu de venir jouer du flageolet dans mon quatuor à cordes, et, chose remarquable, du même coup c’est une faute de goût, de style ou même de syntaxe. La langue elle-même semble agencée pour me déceler les intrus. Peu de fautes sont de technique pure. Presque toutes sont mes fautes. Et je raie, et je corrige, avec la joie qu’on peut avoir à se couper du corps un morceau gangrené.

1941

René Daumal, Poésie noire et poésie blanche, Poésie/Gallimard.

Laisser un commentaire