J’ai vécu seul à Lyon, Robinson
donc en mauvaise compagnie
parfaitement étranger à la ville
ne connaissant rien
au-delà de la gare de Perrache
J’étais amoureux, et ma belle, ma moitié
était partie en Irlande du Nord
ce qui nourrissait mon obsession pour les Celtes
à Lugdunum, capitale des Gaules
dotée d’un double, Lugdunum Batavorum
C’était pour le service civil
des objecteurs de conscience
deux ans plutôt qu’un
Informé par un fascicule anarchiste
j’objectais ! je disais non, je niais, c’est un trait
d’union entre ce moi
de jadis et ce moi d’aujourd’hui
J’objectais à la perspective d’obéir
et de partager un dortoir
Solde de troufion, dans la ville
Il fallait quitter le domicile familial
Et si Paris n’allait plus offrir
que la répétition des mêmes épisodes
avec les mêmes personnages ?
J’ai habité la Croix-Rousse
sombre comme un héros
de Pouchkine ou de Dostoïevski
adepte d’ascèses compliquées
prêt à tout risquer, départ gare Saint-Paul
au casino de Charbonnières
Je crois que c’était rue Janin, pas Jules
mais je ne retrouve pas le vieil immeuble
juché au bord du gouffre, son escalier branlant
J’habitais au dernier étage
une tente de Bédouin pour me protéger
des plâtras qui tombaient du plafond
un évier en pierre avec de l’eau froide
En ce temps-là, j’imaginais des villes fantômes
sans me rendre compte que le fantôme
ce devait être moi, creux, vide
Un autre Janin de Lyon, Guillaume
accusé d’avoir cherché des trésors anciens
à l’aide d’esprits aériens
est pendu et brûlé pour sorcellerie
à Dijon vers mil sept cent quarante-cinq
Et François de Rosset a raconté d’un démon
qui apparaissait en forme de damoiselle
au chevalier du guet de la ville de Lyon
De leur accointance charnelle,
et de la fin malheureuse qui en succéda