Peuplier noir, peuplier blanc

heliades0

Dans le vallon
dans la brume
au bord des eaux
voisin du saule
le peuplier blanc
s’habille d’écorce blanche
mouchetée de lenticelles
minuscules fenêtres losangées

Le peuplier noir
seulement un peu plus sombre
ne s’appelle sans doute ainsi
que pour faire opposition
S’il y a un blanc, il faut un noir
et réciproquement

Tous deux sont comme nous
soit mâles soit femelles
pas les deux à la fois
Étranges amants
enracinés loin
l’un de l’autre
privés d’étreinte

Le peuplier s’appelait jadis « peuple »
du latin populus
et on lui adjoignit
le suffixe des fruitiers
alors que son fruit
n’est qu’une capsule
qui s’ouvre pour lâcher
un avion de coton minuscule

On nommait ses  bourgeons précoces
enduits d’un suc visqueux
et parfumés
« yeux du peuple »

Comment un arbre est-il un peuple ?
s’interrogeaient déjà nos aînés
Continuer la lecture de « Peuplier noir, peuplier blanc »

Minute = papillon

Habituellement, passent en rang assez serré
chantent leur petite musique
récitent leur litanie
font trois petits tours et puis s’en vont
On les croirait jumelles
mais chacune, une légère altération
un changement de lumière
de coloration, d’humeur

Scintillent et s’éteignent
dansent au-dessus du gouffre
tombent pile ou de travers
Mystère parent de celui de la musique
qui existe dans l’instant de sa disparition
Continuer la lecture de « Minute = papillon »

La moutarde et Les Deux Bossus

les-deux-bossusMon premier souvenir de lecture, il me semble, remonte à un album du Père Castor, illustré par Gerda Muller, alors que je ne sais pas encore lire. Comme je tousse beaucoup, je reste au lit et je porte sur la poitrine un cataplasme à la moutarde. Dans mon souvenir, c’est un remède aussi inefficace que désagréable. Mon père pour me faire patienter me lit un conte dans un album.
C’est une histoire de petit tailleur breton bossu et de korrigans. Le mot « korrigan » me séduit ; il semble venu de loin, peut-être de la langue de Bretagne, il sent bon le roc et la bruyère. Les korrigans, minuscules et puissants magiciens, dansent la ronde des jours de la semaine, en l’accompagnant d’une petite chanson entêtante, et pourtant, ils n’en connaissent pas la liste complète que je sais déjà. Sans doute leur grand pouvoir est-il lié à cette ignorance mystérieuse. Sur les illustrations, ils ont l’air d’enfants espiègles, et seule la lecture permet de deviner à quel point ils sont dangereux
L’or des korrigans se change en charbon, si bien que la brûlure de la compresse de moutarde, la bosse du bossu et le charbon resteront durablement associés dans ma mémoire. C’est en Dordogne pendant les vacances, et la bronchite raccourcit ma respiration, mais la chambre disparaît, et je vois une lande semée de gros rochers tant l’illusion et le dépaysement suscités par le conte me transportent.

Une vie dans les livres

La trame des racines

Ni espion
Ni délateur
Ni prophète de malheur
je me trouve obligé pourtant de

J’ai constaté
des manigances secrètes qui
à l’insu de tous

Sous la surface
oui, toujours sous la surface

En sous-sol, vraiment en sous-sol
tout un équipement
des réseaux
des connexions

Je ne suis pas fou
Je sais que d’autres
l’ ont remarqué

Ça ourdit
dans l’obscurité
dans le silence
une conspiration

Ça tisse ses menées
très lentement
Rhizome ou mycélium
une trame tentaculaire
s’étend

Continuer la lecture de « La trame des racines »

Simplement le saule

saule-blanc
Planté en des lieux
mouillés et froids
spongieux parfois
où nous ne nous installerions pas
le saule inspire
à la vieille Encyclopédie
qui se disait pourtant
« Dictionnaire raisonné »
l’idée médiévale
d’une fraîcheur tellement intense
qu’elle éteindrait les brûlures
et rendrait stérile
voire impuissant

Si le saule est d’une famille
qui s’hybride à plaisir
on n’est pas certain
que les unions avec la mystérieuse fiancée
froide et pâle, à la taille flexible
rencontré sous son ombre
puissent être heureuses ou fécondes

Continuer la lecture de « Simplement le saule »

La lyre, le saule pleureur et Boney M.

Même s’il offre de belles cabanes
s’il ombrage des tombeaux célèbres
il se montre aux parcs et jardins
trop décoratif pour m’émouvoir
trop manifestement romantique

Il ne m’aurait pas intéressé
s’il ne s’appelait
Salix babylonica
saule de Babylone

Pourquoi de Babylone
alors qu’il vient de Chine ?

Encore un tour de Carl von Linné
qui connaissait son psaume cent trente-sept
sur le bout des doigts
et qui se rêvait en nouvel Adam
retrouvant les noms
cachés dans la création

Nos anciens en captivité
n’avaient pas envie de chanter
pour distraire leurs maîtres
Ils pleuraient assis
près des fleuves de Babylone
et ils avaient suspendu
leurs lyres aux saules de la rive

By the rivers of Babylon
claironnait Boney M
en l’année mille neuf cent soixante-dix-huit
de ma jeunesse
mais je ne savais pas
qu’ils reprenaient
les Melodians de mille neuf cent soixante-neuf
qui reprenaient eux-mêmes…
Mais cette version un peu édulcorée du psaume
oublie le saule
et encore autre chose

Continuer la lecture de « La lyre, le saule pleureur et Boney M. »