Rébus picards

À en croire les Œuvres complètes, publiées par Garnier frères (Paris 1879), on doit quelques proverbes énigmatiques au grand poète Clément Marot, Héritier de la charge de valet de chambre de François Ier, il se convertit au protestantisme et, compromis dans l’Affaire des placards de 1534, fut jeté en prison dans les geôles du Châtelet puis exilé en Italie, à la cour de Ferrare. Revenu en France, il dut s’exiler à nouveau, après avoir vu sa traduction des Psaumes condamnée par la Sorbonne ; il mourut finalement à Turin en 1544.
Certains de ces rébus sont des classiques, au point qu’on hésite parfois sur leur véritable auteur puisqu’ils figurent dans plusieurs recueils. Le second, par exemple, se trouve aussi dans les Bigarrures de Tabourot des Accords (1547-1598) :

Pir vent venir
Un vient d’un

Un souspire vient sousvent d’un sousvenir.

Sy      pire
Vent vent
J’ay   dont

J’ay sousvent soussy dont sousvent souspire.

Tils vent bien
Trop sont pris

Trop sousbtils sont sousvent bien surpris.

Saurez-vous interpréter celui-ci ?

Het en    tient
Le pens cueur

Et celui-ci ?
Prin bonne se pren faict bon dre

Ou encore ?
Las mis frir
T pour nir maintz a

On aura compris que dans ces « rébus picards », qui trouveraient leur origine dans des billets échangés lors des carnavals de cette région, il s’agit de réintégrer les positions spatiales des mots, syllabes ou lettres dans le texte, pour reconstituer un message cohérent. Il suffit dans la plupart des cas de jouer avec sur, sous, ou même entre. Parfois la taille des lettres a également un rôle…

Un peu plus ardu :

       per
3 t il a son 4

Ou encore ?

G a dS pour contenter mes aa

Et enfin celui qui porte le n° X. de la série et qui attend encore d’être éclairci, il est vrai que la langue du début du seizième présente quelques difficultés… À moins qu’une coquille de l’éditeur ne l’ait rendu indéchiffrable à jamais.

Son tlt pour nir son.
I

Le « rébus picard » a aussi donné lieu à des textes plus élaborés, comme en témoigne un poème du père de Clément, Jean Marot, secrétaire d’Anne de Bretagne puis valet de chambre de François Ier, mort vers 1524.
Il appartient à cette génération de poètes de cour français ou bourguignons qu’on nomme les grands rhétoriqueurs et qui furent actifs du règne de Louis XI à celui de François Ier, de l’époque où la Bretagne fut rattachée à la France jusqu’à celle des guerres d’Italie. Leurs explorations et leurs essais formels, longtemps boudés par les universitaires, ont été célébrés et étudiés par Paul Zumthor qui leur a consacré un essai Le Masque et la Lumière et une anthologie. La liberté et l’audace de leurs textes, qui mélangent vers et proses et jouent souvent avec les permutations, évoquent irrésistiblement les travaux plus modernes de l’Ouvroir de littérature potentielle (Oulipo), auxquels participèrent Queneau, Calvino ou encore Perec.

      fleur                                flé
Un grand de sa gueulle a
Vent                          trouvé
perflu dont s’est pris
         dain                      flé
Car tout son venin bour
       chu                         mais
Est luy dont n’est a pris :
A
ément il pr avoit is
De                             veraine
l’honneur d’une sa

SOLUTIONS
Le sou(s)het en suspens cueur soustient

Bonne entreprinse faict bon entreprendre.

Pour entretenir soulace (soulagement) maintz soumis à souffrir.

Il a son sousper apprêté (après T) entre 3 et 4.

J’ai grand (G grand) appétit (a petit) des grandesses (d grand S) pour contenter mes deux amis (deux a mis).

Un grand sousfleur de sa gueulle a sousflé
Vent susperflu dont s’est trouvé surpris.
Car tout sousdain son venin boursousflé
Est chu sur luy, dont n’est assous mais pris
Assurément il avoit entrepris
Dessus l’honneur d’une, sa sou(s)veraine.

Articles originellement paru dans Thésaumag

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