Mai, le mois des oiseaux

Du « grand réthoriqueur » Jean Molinet (1435-1507), cet éloge de l’empereur Maximilien, en rimes équivoquées dans lequel se cachent vingt-trois noms d’oiseaux (ou au moins d’animaux volants) :

Aigle impérant sur mondaine macyne
Roy triumphant, de proesse racyne,
Duc, d’archiduc père, et chief du thoison
Austrice usant de fer à grand foison
Phenix sans pèr, né sur bonne planette,
Coulomb bénin qui la pensée a nette,
Cocq bien chantant, se le Turcq t’escarmouche,
Mets le aux abbais, comme ung chien qui s’esmouche,
Oie ta voix, ton ost, cheval et pie !
Pou veillons sur celluy qui nous espie,
Pellican vif, qui sur nous sang espans,
Griffon hideux, ennemis agripant.
A loer est ton sens, point n’es butor,
Grue, corbaux, ne Midas qui but or ;
Faisant ictiers, te donne ce que j’ay
Divers oiseaux en lieu de papegay.

Note: « L’anette » est un vieux nom pour la cane, les « pouveillons » sont des papillons.

Ygdrasil règne sur avril

Chêne de Saint-Germain-de-la-Coudre, photographie de P.-A. Touge

Colosse altier auprès duquel les autres représentants du peuple des arbres paraissent des enfants accourus sous son ombrage, sa majesté occupe noblement l’espace, déployant en éventail ses ramures géantes.

La perfection même du tracé rappelle les formes beaucoup plus réduites (les formules disait Francis Ponge) des madrépores, des coraux, ou d’une algue vernie et séchée qu’enfant on a vu sur la cheminée de sa grand-mère.

Est-ce un mathématicien divin qui a rêvé l’arborescence modèle, fractale peut-être, le subdivisant à toutes les échelles, du tronc aux ramilles, des maîtresses branches au plus fin rameau ou juste le bel équilibre de la nature et du hasard ?

Assurément, il fait partie des piliers qui soutiennent la voûte céleste, comme le fameux Ygdrasil.

Paru enfin, en mai, un essai sur « Les entrailles de la ville »

Sur l’invitation de Denis Mellier, pour le numéro que la revue Otrante spécialisée dans le fantastique consacre à Londres, j’ai commis un essai sur « Les entrailles des villes », il y est question du journaliste Henri Mayhew et de son enquête des années 1850 sur le peuple des rues de cette ville, des égoutiers pirates et des ramoneurs, qui fouillaient les boyaux et les sphincters de cet organisme géant.

Février, pensons à l’ami Baudelaire

CHACUN SA CHIMÈRE

Sous un grand ciel gris, dans une grande plaine poudreuse, sans chemins, sans gazon, sans un chardon, sans une ortie, je rencontrai plusieurs hommes qui marchaient courbés.
Chacun d’eux portait sur son dos une énorme Chimère, aussi lourde qu’un sac de farine ou de charbon, ou le fourniment d’un fantassin romain.
Mais la monstrueuse bête n’était pas un poids inerte; au contraire, elle enveloppait et opprimait l’homme de ses muscles élastiques et puissants; elle s’agrafait avec ses deux vastes griffes à la poitrine de sa monture; et sa tête fabuleuse surmontait le front de l’homme, comme un de ces casques horribles par lesquels les anciens guerriers espéraient ajouter à la terreur de l’ennemi.
Je questionnai l’un de ces hommes, et je lui demandai où ils allaient ainsi. Il me répondit qu’il n’en savait rien, ni lui, ni les autres; mais qu’évidemment ils allaient quelque part, puisqu’ils étaient poussés par un invincible besoin de marcher.
Chose curieuse à noter: aucun de ces voyageur n’avait l’air irrité contre la bête féroce suspendue à son cou et collée à son dos; on eût dit qu’il la considérait comme faisant partie de lui-même. Tous ces visages fatigués et sérieux ne témoignaient d’aucun désespoir; sous la coupole spleenétique du ciel, les pieds plongés dans la poussière d’un sol aussi désolé que ce ciel, ils cheminaient avec la physionomie résignée de ceux qui sont condamnés à espérer toujours.
Et le cortège passa à côté de moi et s’enfonça dans l’atmosphère de l’horizon, à l’endroit où la surface arrondie de la planète se dérobe à la curiosité du regard humain.
Et pendant quelques instants je m’obstinai à vouloir comprendre ce mystère; mais bientôt l’irrésistible Indifférence s’abattit sur moi, et j’en fus plus lourdement accablé qu’ils ne l’étaient eux-mêmes par leurs écrasantes Chimères.
Charles Baudelaire

Mort d’un titan en janvier

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Rugosité, textures, tourments et cicatrices, voilà un arbre qui ne respire pas la sérénité. Son torse démesuré, ses bras noueux et pesants sont ceux des esclaves inachevés qu’a sculptés Michel-Ange pour le tombeau d’un pape.
Est-ce un Atlas porteur de la terre et du ciel ? En tout cas, Il est tendu par une fureur immobile de titan enchaîné, un élan fixe qui prend feu en flammes et tourbillons lignés, d’une « beauté convulsive » et « explosante fixe » aurait dit André Breton.
Tout le mystère de la densité et de la matière s’offre là. Chêne s’il en est, triomphant malgré tout, mort debout, encore puissamment planté, il lève des bras féroces.
Il tombera d’un seul bloc, face contre terre, longtemps après la disparition de ceux qui l’ont patiemment ébranché. Et, il sera beau et étonnant, encore, même une fois couché, tout un monde pour le peuple de champignons, d’insectes, d’animalcules qu’il hébergera.
(photographie de P.-A. Touge)

Le danseur de novembre

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Farouche, il se hausse, d’un bond se relance, grimpe et zigzague vers davantage de lumière, fourche et s’ébouriffe, comme une foudre végétale montée lentement à l’assaut du ciel.
Sur son écorce une blessure trace comme un œil unique, la marque de quelle branche absente, la cicatrice de quel combat ?
(photographie de P.-A. Touge)

La complainte de l’arbre

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Est-ce que réellement j’habite le même pays que vous ? J’ai peine à croire que nos racines s’ancrent dans le même sol, que nos branches poussent dans le même air. Nous ne sommes pas faits du même bois. Je m’agite, je m’indigne, je bouillonne devant des spectacles qui vous indiffèrent. Je songe me déterrer, à m’exiler loin de vous.

Photographie de P.-A.Touge