Nous sommes fiers et émus de vous présenter enfin le premier épisode de la retranscription filmée des ateliers Ancêtres du Bourget. Des habitants racontent leurs ancêtres dans cette série de films réalisés par Marie Dubois. Expostion au centre culturel André-Malraux du Bourget, du 14 octobre au 2 janvier. #sculpture #théâtre #photographie
Originellement, ce devait être un spectacle, mais la maladie et les deuils en ont décidé autrement.
Nous serions heureux de vous retrouver pour vous présenter cette rencontre avec notre passé et avec le passé des autres.
Avec la Ville du Bourget, SHAM Spectacles, La Capsule etc.
Cyprès de Lambert
J’étais tout petit
et nos grands-parents
appelaient cupressus
les arbres de la haie
orthogonale
à la route côtière
vers Mesquer
Leur parfum était frais
leurs fruits ronds
durs et odorants
leur ombre profonde
leur hauteur impressionnante
La distinction apportée
par ce nom latin
me paraissait aller de soi
Au sorbier des oiseaux
Ayant déjà inventé
nostalgie des neiges d’antan
pour un roman tumultueux et triste
une fille à soldats acide
surnommée Sorbe
il fallut pourtant rencontrer
l’arbre en été
près de La Ferté-Vidame
en lisière d’une forêt
malmenée par la sécheresse
pour me consacrer
à l’arbre sorcier
et célébrer ses noces
avec l’oiseau
Comment penser
l’un sans l’autre ?
Clématite des haies
Malgré festons
et guirlandes
ou souvenirs de Tarzan
cette liane d’Occident
liorne, jorne
inquiète quelquefois
Comme ronces et orties
un serpent végétal
rampille, fausse vigne
envahit maison ruinée
sous-bois obscur
terrain abandonné
Signe de sauvagerie
sarmenteuse
barbe de chèvre
ses tiges ligneuses
tombent en tout sens
Son pétiole vrille
s’attache
tourne
volubilement
Argile à silex
Ici le soc de la charrue
quand on laboure
la terre grasse
tinte souvent
sur une dure caillasse
J’habite un pays de silex et d’argile
On dit même d’argile à silex
La dialectique est naturelle
Incisif et concis, silex parle au poète
une langue tranchante
Substance amorphe et fuyante, argile
pose un autre défi
alourdit les souliers
les sabots quand on arpente
la terre mouillée, et ralentit
et tire vers le bas
Silex, frappé sur un roc ferreux
provoque une étincelle
Silex allume le coup de feu
d’une platine à miquelet
Mais argile a du talent
piège l’eau
apprend aux doigts
à modeler en
trois dimensions
Nerval encore
La nécessité de revenir à Nerval naît d’un remords de n’en avoir pas assez dit, et sans doute d’un mouvement de reprise plutôt nervalien, lui qui réutilisa, découpa, colla, réécrivit plusieurs fois les mêmes textes au sein d’une œuvre pourtant variée et abondante. M’apprivoisa à son étrangeté de premier abord le fait d’y retrouver le goût de mon grand-père Georges pour les généalogies imaginaires et les contes invérifiables sur les origines lointaines des noms de famille.
Je me souviens très bien que c’était l’été où, alors que j’étais d’une famille de la petite fonction publique, je travaillai pour la première fois en usine, à Sainte-Mère-l’Église, et où je découvris la vie et la solidarité du monde ouvrier. Avec mon premier salaire, je partis en Grèce, visitai Delphes, « La connais-tu, Dafné, cette ancienne romance ? »
Me pousse aussi vers Nerval mon goût du sommeil et des songes, de l’inspiration remontée de leurs profondeurs troubles, et une rébellion très profonde contre le monde tel qu’il est, tel qu’il va, tel qu’on nous le vend.
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L’aveu Nerval
On entretient parfois avec un texte une liaison secrète, on le retrouve avec délice le soir en se couchant ; si l’on est empêché de le fréquenter dans la journée, on y pense avec un sourire ; on n’en parle pas forcément aux autres. Le nom de son auteur peut être universellement célèbre, n’empêche, il s’agit d’une histoire profonde, souvent nocturne, discrète avec lui, avec son écriture, sans fanfare ni tambour.
Malgré mes efforts, je ne parviens pas à me rappeler qui m’a introduit à Nerval, dont j’ai d’abord lu Les Filles du feu, c’est peut-être M. Jean-Paul Ballorain, dont je fus l’élève admiratif mais plutôt fuyant au lycée Henri IV de Paris. Il me fit en tout cas découvrir Baudelaire et Poe sous un jour nouveau et très vif.
« Sylvie, souvenirs du Valois » est comme l’essence des Filles du feu. En tout cas, « Sylvie » m’enchanta de sa féérie nostalgique et de sa délicate ironie, en plus de me faire découvrir que la région parisienne avait recélé jadis des espaces champêtres et paysans, que je n’aurais pas soupçonnés. En les recréant, Nerval leur invente une légende immortelle.
L’édition dans laquelle je l’ai lue n’était pas une édition scolaire. Une note médiocre et jalouse, en bas de page, signalait que Jenny Colon qui aurait inspiré telle ou telle figure de femme fictive était en réalité une actrice assez quelconque.
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Titre de propriété
Plus de questions que de réponses
Souvent
Ma maison, mon arbre
l’adjectif possessif
Ô ma femme, ma main
me laisse perplexe
et je soupçonne une erreur
ma nuit, ma colère
ou une hérésie habituelle
sur laquelle je ne parviens pas
à mettre le doigt
mon doigt ?
Où est l’acte notarié
qui m’en accorde propriété ?
Je crains de l’avoir égaré
Suis-je possédant ?
De quoi, nanti ?
Suis-je possédé ?
Ma mère
mère de frères et de sœurs
leur mère
range ses affaires
L’arbre transparent II – Orme
Appliqué à voir ce qui n’est plus là
je sais enfin l’arbre fantôme
qui me hantait, c’est l’orme
« Sentez-vous son parfum spectral
frais le matin après une averse printanière ? »
Enfant, entre soixante-dix et quatre-vingt
je n’ai pas vu les grands ormes mourir
presque tous étouffés par la graphiose
épidémie revenue avec des bois américains
J’étais plus près de l’orme Saint-Gervais
l’arbre de justice, que de Saint-Fulgent-des-Ormes
Ici en Normandie, il était partout
et n’est plus nulle part, nul écho
Prosopopée du vent dans les branches
Naturellement,
murmurent les arbres
d’un même souffle
nous avons davantage
d’affinités
avec le vent
même si parfois
la tempête nous moissonne
et nous couche
dans nos linceuls de verdure
quand nous soufflons nos pollens
avant l’apparition des feuilles
à perdre haleine
« anémogamie » écrit le botaniste
mariage aérien par les alizés
en grec anemos, en latin anima
souffle de l’âme
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