Exils du thuya

Photo Kalaloch Redcedar, Woodley Wonderworks

En Europe, pour masquer
nos médiocres châteaux
périphériques et empêcher
qu’on voie qu’il ne s’y passe rien
nous avons planté des haies opaques
de béton vert, nanifié, taillé, retaillé
Thuja occidentalis ou Thuja plicata
que les pépinières continuent à vendre

Son feuillage étrange et odorant
dont les écailles vertes ressemblent
à des arbres miniatures
formés d’autres arbres encore plus petits
remonte à des ères dinosauresques

Boudé par les oiseaux, acidifiant la terre
il repousse les insectes
sauf un, le bupreste du genévrier
qui l’a ajouté à son régime
et ne se gêne pas pour l’exterminer
Les thuyas américains sont déjà
interdits par certains de nos voisins

Au nord-est Thuja occidentalis, exporté
dans les bateaux de Jacques Cartier
et confondu avec l’annedda
qui a sauvé son équipage du scorbut
si bien qu’il se retrouve baptisé
Arbor vitae, arbre de vie
dans les jardins du roi François

Chez lui, il s’appelait grand-mère giizhik
avec grand-père bouleau
il protégeait les Ojibwas
dans ce monde-ci et dans l’autre

Au nord-ouest Thuja plicata
emporté par William Lobb
chasseur de plantes anglais
pour le compte des pépinières Veitch
était au pays un géant respecté
amoureux de la pluie et du brouillard
capable de vivre mille ans
Les Salishs le nommaient catáwi

Avec ses fibres on fabriquait
des vêtements de pluie
avec son bois, la maison et son toit
Un seul tronc suffisait à tailler
un totem clanique
ou une immense pirogue
à haute proue
capable de prendre la mer

Mais l’Europe, ô thuyas
pour quel étrange exil
quelle étrange servitude ?

Laisser un commentaire