Il arrive parfois que le lecteur le plus attentif, le plus habitué à l’exercice, quand il déchiffre une de ces phrases de belle ampleur qui déploient leurs périodes sur une douzaine voire une vingtaine de lignes, aussi correctes et équilibrées fussent-elles, fécondées par la fréquentation régulière d’un latin originel ou nourries du rythme classique d’une oraison funèbre de Bossuet par exemple, ou encore d’une palinodie du cardinal de Retz , quand bien même elles affichent en des carrefours stratégiques, ces bornes, ces pivots, ces panneaux indicateurs que sont les adverbes et le conjonctions logiques, et en particulier si elles manient le paradoxe, le renversement de perspective, détaillant des causalités ineffectives ou dénonçant des préjugés bien ancrés, il se produit parfois, disais-je, Continuer la lecture de « Face au texte : Coincé dans la phrase »
Face au texte : L’ancrage

Alors, en effet, ralentissant, se coince la loupe sur l’œil pour examiner les facettes, le brillant et la couleur du mot ; s’attarde et se perd parfois dans de vastes catalogues, l’immense Larousse du XIXe siècle, les Grand Robert, Dictionnaire historique de la langue française, Littré, ou même La Curne de Sainte-Palaye.
Le possède l’impression que les vieux mots, même ceux qui sont inusités depuis des décennies, n’ont rien perdu de leur force expressive, qu’ils nomment des outils de métiers disparus, des pièces d’architecture navale, des rituels archaïques ou des nuances de sentiments oubliées ; reste donc plutôt imperméable aux vogues récentes et fugitives, au « ressenti » ou au « vécu ».
Face au texte : L’écrivain, certains jours…

— Je dirais plutôt que l’écrivain ce jour-là est semblable à cet enfant qui, ayant admiré l’agilité, la rapidité et les coloris d’un lézard l’a capturé et l’a tué, plutôt par accident que par méchanceté. Bientôt, il ne reste plus qu’un petit cadavre inerte et sans couleurs, que l’enfant honteux ne parviendra pas à ressusciter.
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Effeuillaison

Effeuillage ?
Qui nous défeuille
nous effeuille
le paysage
à la saison d’effeuillaison
à la saison de l’effeuillement
signant le passage du temps ?
Le langage est un arbre
pluie de suffixes
se détache des branches
Limbes
nervures
pétioles
s’envolent
Et la stipule
remarquée par Lamarck ?
Après le passage des fleurs
aux fruits
le moment automnal
est-il essentiellement
mélancolique ?
Saturation d’été
de sécheresse
Excès de maturité
Une poignée d’olives pour la route
À l’association 1851 et aux Amis des Mées
Une olive :
Quand je serai poète
je dédierai une ode
à l’olivier
ou peut-être seulement
à son rameau
ou alors simplement
à l’olive
L’éloge surgirait
d’un simple noyau
dur et strié
Oui, l’olive pose rondement
un idéal de perfection
et de forme
par l’ovale clos
la saveur, la concision
Eh oui, elle nourrit
et tout un chacun
est ravi par l’olive Continuer la lecture de « Une poignée d’olives pour la route »
Colosse effacé le cormier le sorbier
Bel arbre, sans mentir
feuillage composé, ajouré
lent à pousser
volontiers géant
pourvu qu’on lui laisse le temps
Borne des campagnes de jadis
À la croisée des chemins
ou en limite de parcelle
écorce de chêne
rameau comparable à celui du frêne
et à l’automne, saison des brumes
petits fruits
en forme de poire
Bois rouge
d’une telle dureté
qu’on hésitait à le travailler
sauf pour les manches d’outil
les rouages du moulin
la vis du pressoir
ou de la presse
gravure sur bois
poinçons de typographe
Cormier ou Sorbier domestique
sorbier dans le midi
cormier au nord, à l’ouest
Vous dites sorbier
je dis cormier
ou l’inverse
n’allons pas nous disputer
pourvu qu’on ait l’ivresse
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Le pin rouge et les Marx Brothers
Est-ce un pin sylvestre ?
En tout cas, ce n’est pas
le pin noir d’Autriche
agent de repeuplement
d’un office des forêts
en mal d’imagination
Mais celui-ci qui
prend ses appuis
comme un lutteur
s’arc-boute, s’ancre
résiste au vent
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À l’orée
Couronnant la colline
depuis des temps immémoriaux
la forêt règne sur l’horizon
On n’en voit que la lisière
bord plus ou moins effrangé
limite plus ou moins effilochée
Faut-il dire lisière ou orée ?
Qui est dedans, qui est dehors ?
Un œil observe-t-il depuis la sylve ?
La plupart des villages, des ermitages
ont choisi de lui tourner le dos
d’ouvrir des essarts, des défrichages
À son abord quelque chose nous interdit
outre les panneaux défense d’entrer
Chasse privée, voire Attention pièges
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Au buis
Et puis
eh oui
le buis
jadis appelé bouis
glabre, lisse, persistant
résistant aux intempéries
Serai tenté
d’affilier le buis
au buisson
mais fausse étymologie
Avant de croquer la pomme
Illustration, Giovanna Garzoni, 17e siècle.
Il fallait bien y arriver
au pommier
et tout de suite
tomber dans les pommes
de mon enfance
au verger planté
par l’arrière-grand-père
prénommé Jules
dans la Sarthe
Tant le pommier suscite
autour de lui un jardin
de mots et mythologie
Ô Éden, ô Hespérides
filles de Madame l’Heure-du-soir
et du titan Atlas porte-monde
L’odeur des pommes
est un peu sure
Pommes à cidre
ou pommes à couteau ?
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