Mon amie la ronce

Pourquoi la ronce ?
me demandera-t-on
Ce n’est pas la plus belle
des fleurs de mon jardin

Peut-être parce qu’elle est
mal aimable, rebelle
épineuse ?

Peut-être parce que les écorchures
causées par ses aiguillons
ont un air enfantin
d’école buissonnière
d’aventure
et de gourmandise

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Doutes sur le verbe « narrer »

La grammaire ne le signale pas comme un verbe défectif ou défectueux, mais
est-ce qu’on écrit, autobiographiquement, je me narre ? Il se narre ?
est-ce qu’on demande réellement : Qui a narré ?
est-ce que j’ai déjà lu : Il narra et renarra toute l’histoire d’une voix nasillarde ?
j’ai l’impression que ce verbe étrange se conjugue rarement
pourtant, remarque Littré, dans Les Provinciales de Pascal, ou plutôt de Louis de Montalte
« Je vous suis plus obligé que vous ne pouvez vous l’imaginer de la lettre que vous m’avez envoyée ; elle est tout à fait ingénieuse et tout à fait bien écrite. Elle narre sans narrer ; elle éclaircit les affaires du monde les plus embrouillées. »
Inénarrable, soit, mais narrable ? À part Paul Valéry, révérence.
Narrateur, évidemment, comme interrogateur, calomniateur, mais aussi acteur ou danseur.
Comme certains êtres, un mot peut provoquer un léger malaise.
Qu’est-ce que vous me narrez là ?

Le masque de lierre

Pourquoi arracher le lierre ?
Liane du nord, hedera helix
liane ligneuse
Vêture du bonhomme hiver
linceul des vieilles demeures
couronne de bacchante
ceinture de fée nue

Il faut bien qu’il cache un secret
et j’ai dû croiser un jour
sans me souvenir où
un masque de feuilles vernissées
où deux yeux étincelaient

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Corridor

Source : Hoogstraten, 1662, Wikipedia

Chut, on entre dans un
corridor obscur
et silencieux
quand, où ?
est-ce un moment ou un lieu ?

une fois la lampe éteinte
ça commence
il se déploie
le corridor occulte
et passionnant
qui mène du jour à la nuit
de la veille au sommeil
corridor, personne n’y court
on avance pas à pas, entre les fantômes
plutôt l’intelligence jette parfois
un curieux éclat
comme la flamme
d’un feu qui s’éteint
entre rêve et réalité
un corridor ou un carrefour
qui ouvre sur quelles portes ?
quand, où ? Continuer la lecture de « Corridor »

L’estran

L’estran
comme une chambre à l’occident
dont on aurait perdu la clé
sous le ressac et le remous
régulièrement noyée
submergée sous un plafond de houle
où dort captive notre imagination

L’estran
chambre des vases, des sables, des rocs
où se recueillent les épaves
bizarrement oubliée des grands mythes
parfumée de puanteurs poétiques
où joue une musique de chambre mousseuse
de crépidules, littorines, balanes et buccins

Chambre d’un dormeur rouge
cuirassé et armé jusqu’au bout des pattes
parcourue de frissons argentés
d’allées-venues fugitives
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Le pays de l’alisier blanc

Montant au col de Beauvoisin
en vue de la croix de Justin
autre pays des merveilles
essoufflé mais les yeux grand ouverts
sur une pente buissonneuse
j’ai aimé
l’allant de jeunes arbres
l’élan vigoureux et désordonné
de leur tronc mince
gris, tacheté
moins appesanti
que moi par la gravité

Comment ne pas admirer
leurs faisceaux de fruits
verts, orange ou rouges
selon leur maturité
et surtout la danse changeante
de leurs feuilles gauffrées
argentées au verso ?

J’ignorais leur nom
peut-être un sorbus
genre fourre-tout
ou un prunus inconnu ?
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Dans les yeuses

Là bas, jadis, au pays d’Épire
barbare et mystérieux
lointain, nordique et pluvieux
du moins au yeux des Grecs
dans le bruissement des ramures
d’un bois de chênes
on déchiffrait les paroles de Zeus
le dieu assembleur des nuées
et la légende de Dodone me fascine

Me mêlant de ce qui ne me regarde pas
je me demande si les chênes
nous observent
quand leurs rameaux
oscillent et chuchotent
même sans vent

Serviteurs de l’oracle
les Selles, ascètes méconnus
vivaient pieds nus
Mal lavés, dit Homère
ils dormaient à même le sol
sans doute pour mieux
comprendre les arbres
mais on ne nous dit pas
s’ils rêvaient debout
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Espèces d’espace, comme disait Perec

Tout de suite, très simplement, il y a tout d’abord le carrefour. Une fois qu’il est dépassé, on tend à regretter le chemin que l’on n’a pas suivi, mais en même temps, à la croisée des chemins, on ressent un inconfort qui nous pousse à emprunter ou l’un ou l’autre. Serait-il possible d’habiter cette incertitude, le lieu d’où les chemins divergent, d’y rester, d’y faire sa maison ?
Très simplement, il y a, ensuite, le paysage. Dès qu’on le voit, dès qu’on l’aime, on voudrait s’y trouver, le toucher de près, y être inclus, et lorsqu’on l’approche, il disparaît. On comprend alors qu’il n’existait que dans la distance qui nous séparait de lui. Sans doute, cela a-t-il un lien avec l’essence du désir. Continuer la lecture de « Espèces d’espace, comme disait Perec »