Roman II, Jacques Roubaud

C’est un autre roman encore, peut-être le même.
Un homme abandonné, à cause d’une mort, reçoit un coup de téléphone. Ce coup de téléphone est un appel d’une femme aimée, et morte.
Il reconnaît sa voix. Elle appelle d’un monde possible, autre, en tout point semblable à celui auquel il est habitué, avec cette seule différence que, dans ce monde, elle n’est pas morte.
Mais que dira-t-il ? Que s’est-il passé dans ce monde-là en trente mois ? Que lui dira-t-elle ? Comment entrerait-il dans ce monde où l’horreur n’a pas eu lieu, ce monde à la mort abolie, où la lutte continue contre la mort, où ils s’obstinent à ce combat qui, ici, dans le monde où il est encore au moment où il décroche l’appareil, a été perdu ?
Il décrochera, et il entendra sa voix. Le monde où il est encore (le téléphone vient de sonner mais il n’a pas encore bougé la main pour répondre) sera oublié.

Jacques Roubaud, Quelque chose noir, Poésies Gallimard.

Avec toute la révérence d’un voleur de trésors.

Douve parle

Quelle parole a surgi près de moi,
Quel cri se fait sur une bouche absente ?
À peine si j’entends crier contre moi,
À peine si je sens ce souffle qui me nomme.

Pourtant ce cri sur moi vient de moi,
Je suis muré dans mon extravagance.
Quelle divine ou quelle étrange voix
Eût consenti d’habiter mon silence ?

Du Mouvement et de l’Immobilité de Douve, Yves Bonnefoy, Poésie/Gallimard.

Le spectacle La Ligne jaune à Paris

Nouvelles représentations de La Ligne jaune les dimanches 11, 18 et 25 novembre à 19 h au Grand Parquet, le jardin d’Éole, 35 rue d’Aubervilliers, 75018 Paris.

Entrée libre, réserver au 01 43 52 19 84.

Chaque fois que les CRS ont tenté d’entrer de force dans une usine, ça s’est mal passé . Photographie Achromatik.

Le défi farouche d’Armand Robin

LE CHOIX
Dans l’ère de haine et de propagande
Je veux une surface aussi grande.

Je n’ai pas besoin de vent pour élargir mes gestes,
Je n’ai pas besoin d’écho pour ébruiter mes cris.

C’est par leur vérité que mes mots seront énergie.

Je veux qu’on me soupçonne, qu’on me calomnie ;
Je veux sur moi le poids de toute tyrannie.

… …
J’ai choisi, pour me bâtir, d’être partout détruit.

J’ai choisi de n’avoir pas de lit,
De n’avoir aucun sommeil dans aucune nuit…

Armand Robin, Ma vie sans moi, Poésie/Gallimard

Lignée II

samare de l'érable

Les arbres, certains confient aux vents de petits aérostats qui emportent chacun une graine dans les tourbillons. Quand la saison est là, érables, tilleuls, frênes ou charmes lancent dans la bourrasque, de toute leur hauteur, ces samares, appareils légers qui doivent emporter leur lignée en des terrains qui lui seraient inaccessibles autrement.

samare du charme

Et volent de singuliers papillons, aux ailes vert pâle, brunes ou acajou, plissés et dissymétriques, lestés pour mieux tournoyer sur eux-mêmes, dont un grand nombre se perd en des lieux stériles.
Confier à la rafale le soin de sa descendance, voilà des façons bien étranges.

samare du tilleul

Et puis on se rappelle la belle réclame gaufrée que portaient les épais dictionnaires Larousse : « Je sème à tout vent. ». De vrai, où atterrissent les mots lâchés sur la page ? Germent-ils jamais ?

samare du frêne

Franchement, jusqu’à hier, j’ignorais jusqu’au nom d’Armand Robin et voilà qu’aujourd’hui…

Depuis plus de dix ans mes gestes sont détruits,

Très seul, loin du poème, en un bois déserté,
Je m’assaille à la hache, muet déserté,
Et les poèmes qui parfois tombent de moi
Font à peine le bruit d’une feuille morte dans les sous-bois

Homme de la nuit,
J’ai vécu dans un monde détruit ;
Mots, gestes ont dû grimper de ruine en ruine.

Armand Robin, Ma vie sans moi, Poésie/Gallimard

La Ligne jaune à Cergy Soit

Le festival des arts de la rue Cergy Soit a programmé quatre représentations de La Ligne jaune, création réalisée avec les Grandes Personnes, les samedi 15 septembre (16h30 et 18h30) et dimanche 16 septembre (16h30 et 18h30) sur le parvis de la Préfecture (côté anciens cinémas).


Photographie Aude Meeschaert.

Un souvenir de Catherine Lépront

Catherine Lépront a « inventé » mon premier roman, alors qu’il n’intéressait encore personne. C’est elle qui l’a déniché au milieu d’une pile de manuscrits et a pris contact avec moi. Je me souviens qu’elle n’aimait pas les suffixes en -et ou -ette, les jardinets ou les maisonnettes, alors qu’ils me rappelaient du Bellay ou la Pléiade, et que je m’appelle « Evette », ce qui ressemble à un diminutif. Elle prenait la question du narrateur très au sérieux, comme les gens qui perçoivent les résonances morales d’un choix esthétique. Et puis c’était une femme aimable, encourageante, qui m’a paru dotée d’un grand sens de l’humour et, encore, d’une personnalité vibrante.