« 38 » un poème de Layli Long Soldier

Personne ne me l’a demandé, mais par sympathie, par révolte, par nervosité, par curiosité, j’ai traduit ce poème épique, drôle et triste de Layli Long Soldier sur les Dakota 38, dont l’original anglais se trouve ici, onbeing.org/poetry Par hasard il rappelle les événements d’un 26 décembre.

Ici, la phrase sera respectée.

Je composerai chaque phrase avec soin, conservant à l’esprit ce que les règles de l’écriture édictent.

Par exemple, toutes les phrases commenceront par une majuscule.

Toutes les sentences commenceront par une capitale.

De même, l’histoire dans la phrase recevra les honneurs d’une ponctuation appropriée en son extrémité, un point ou un point d’interrogation qui marquera l’accomplissement (temporaire) d’une idée.

De même l’histoire de la sentence…

Il vous importe peut-être de savoir que je ne considère pas ceci comme une « création ».

En d’autres mots, à mes yeux, il ne s’agit pas d’un poème inspiré ou d’une œuvre de fiction.

D’ailleurs, on n’y théâtralisera pas les événements historiques pour les rendre passionnants.

Donc, ma responsabilité s’exerce surtout sur la phrase, sur son ordre, elle qui convoie la pensée.

Ces préalables achevés, je commence :

Il est possible qu’on vous ait déjà parlé des 38 Dakotas.

Si c’est la première fois qu’on vous en parle, vous vous demandez sans doute, que sont les « 38 Dakotas » ? Continuer la lecture de « « 38 » un poème de Layli Long Soldier »

Thèse et antithèse du gui

Présent toute l’année
mais plus évident
par temps de ciel laiteux
peint à la grisaille
temps de neige

Sempervirent
ce toxique nous atteindrait au cœur
précipitant ses battements
comme le baiser
sous son feuillage clairsemé
sous le gui échangé
baiser et non suçon
de petit vampire vert
assoiffé de sève

Que viens-tu faire
demandera-t-on au rimailleur
pousse méprisée et méprisable
petit parasite
dans ce sentier
déjà emprunté
par Francis Ponge
« Le gui la glu »
dont tu sembles
tout imprégné ?
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Face au texte : entre les lignes

Pattes de mouche,
Le signe nous laisse perplexe
autant qu’un singe, un texte de loi

Sans tambour ni trompette
sans que résonnent les trois coups
sans ouverture de rideau rouge
entrent les lignes

Sur le sable de la page
simples traces de pas
d’un visiteur solitaire
L’homme qui parle tout seul
s’est perdu dans le lointain

Deux sortes de textes
les uns sont clos, inaccessibles
comme protégés par une vitre
Les autres, le lecteur peut s’y inscrire
parce qu’une place est laissée
entre les lignes

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Ballade du tilleul

Volé à Yannick, http://www.crokfun.com
Volé à Yannick, http://www.crokfun.com

Tilleul n’es-tu
qu’arbre de cour d’école
de jardin public
facile à tailler
souvent mutilé
familier et vaguement ennuyeux ?

N’es-tu que bois blanc,
sans fermeté
un nom un peu mouillé
quelques samares
à l’automne dispersées ?

Si le café me convient
davantage
que l’infusion
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Raisons de choisir un hêtre

Pour être à la hauteur
bien qu’il ne soit pas du bois
dont on fait les charpentes
il faut que je gravisse la pente
que j’aille jusqu’à la forêt

Car ici, on ne le voit
ni dans le bois
ni dans la haie
D’ailleurs Linné le baptisa
Fagus sylvatica
hêtre des forêts

Ainsi le hêtre est une essence…
L’être et l’essence
voilà qui paraît compliqué
pour un géant lisse et gris
qui ne se demande pas
s’il est hêtre
s’il pourrait être mieux qu’un hêtre
s’il devrait être
autrement

Selon les temps et les lieux
il s’appelle tout à la fois
hêtre, fayard, fou, fau

Raisons de choisir un hêtre
plutôt que le néant ?
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Prière à la haie

Eh, foin du thuya !
du laurier palme
de ces murs verts
taillés carrés
sans caractère !

Vivent les haies vives
d’essences variées
demi-sauvages
dont nul ne songe
à domestiquer
la hauteur !

Par tous les temps
les arbres font la haie
debout, sans lassitude
avec parfois quelque émoi
Un frisson dans le vent
Une rumeur dans la pluie

La haie raconte de
vieilles histoires de découpage
de frontière
de délimitation
de dots
d’héritages
d’avant
le remembrement

Haie
es-tu perspective
monde en deux dimensions ?

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Édouard Schaelchli : Jean Giono, Le Non-Lieu imaginaire de la guerre

J’ai fait de cet immense travail une première lecture forcément hâtive sur un écran d’ordinateur, au cours de laquelle j’ai admiré le paradoxe manié comme outil fondamental de la pensée, une perspective neuve en matière de critique littéraire qui me fait penser au renversement apporté par les travaux de Pierre Bayard (Comment parler des livres que l’on n’a pas lus, etc.), une prose profonde et ample, une nouvelle vision de l’œuvre de Giono, et une relecture importante de l’histoire intellectuelle d’avant et d’après-guerre. Comment lire aujourd’hui un texte farouchement pacifiste publié en 1938 ? Quelle est la nature du lien entre un texte et le moment de son écriture ? Que se passe-t-il si l’on décale le temps de la lecture, si on lit un texte daté à la lumière d’autres développements plus contemporains ? Lire est-il une affaire sérieuse ?
La Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix dont l’importance a longtemps été sous estimée par la critique se situe pourtant au pivot de l’œuvre de Giono, entre deux manières (ou deux périodes) celle du panthéisme provençal (ce résumé grossier est de moi), à laquelle succède, après guerre et après l’inscription (injustifiée) sur la liste noire des écrivains collaborateurs, celle d’un néo-sthendalisme d’une grande habileté.
En relisant plus posément les deux volumes parus chez Euredit, qui reproduisent l’intégralité de la thèse d’Édouard Schaelchli, j’ai mieux perçu les multiples dimensions de la Lettre, en effet chaque chapitre de cette réflexion semble en épuiser la lecture, alors qu’elle se renouvelle au chapitre suivant, qu’il s’agisse du déchiffrement du contexte historique, des contradictions fécondes qu’elle présente (une lettre qui parle, une lettre écrite à ceux qui ne lisent pas, une lettre qui veut être un acte et non un texte), ou des diverses formes de dédoublement qu’elle initie. Plus qu’aucun autre, ce travail met l’accent sur le texte comme un véritable espace, espace de tensions, du moins est-ce ainsi que je le perçois, où un acte tente de se produire, et dont l’enjeu est efficacement éclairé par des références croisées et opposées, d’une part à Charles Péguy et d’autre part à Maurice Blanchot, et par quelques éléments biographiques choisis avec beaucoup de pertinence.
Enfin, le point d’où parle, d’où écrit Édouard Schaelchli, une position résolument décroissante, résolument favorable au retour à la terre, farouchement hostile à l’aliénation par les machines, ne fait pas l’objet de justification. C’est simplement le point fixe sur lequel il appuie sa pensée. Et cette assurance qui sert de base à son travail nous fait du bien.

41f98eqxgdlJean Giono. Le non-lieu imaginaire de la guerre
Une lecture de l’œuvre de Giono à la lumière de la Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix

Edouard Schaelchli

Date de parution : 1er octobre 2016
Editis
ISBN : 978-2-84830-211-9
16 x 24 cm
dos carré collé
2 vol. : 348 + 566 pages

PRÉSENTATION DE L’ÉDITEUR
C’est en partant de la Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, et comme à travers elle, que cet ouvrage s’efforce d’élucider le « problème Giono » et d’échafauder une interprétation d’ensemble d’une œuvre qui, dans sa pluralité essentielle, ne cesse de dérouter la critique.
Il s’agit d’abord de lire cette Lettre trop souvent considérée comme un opuscule de circonstance, afin d’y puiser, en même temps que la force d’un message de paix, l’incertitude profonde d’une pensée qui s’enracine dans la crise qui conduisit Giono à l’espèce de folie à l’œuvre dans son action de pacifiste intégral, culminant dans le moment crucial de 1938. Il s’agit aussi et surtout de comprendre dans quelle mesure tout Giono ou le tout de Giono ne cesse de se construire à partir de ce point aveugle de son œuvre où, prenant conscience de ses contradictions, l’écrivain s’efforça de rendre la guerre impossible à tout jamais : moment de tension extrême que nous ne pouvons contempler sans nous sentir menacés des mêmes démons, et tributaires des mêmes contradictions.
Longtemps éclipsé par d’autres figures de la modernité – Blanchot, Camus, Sartre, Bataille –, Giono se dresse devant nous, comme un Sphynx, au seuil d’une post-modernité où les conséquences des grands événements du XXe siècle nous obligent à renouer avec « les inquiétudes » de Péguy – à réapprendre à lire des textes que l’Histoire, malgré son ironie, n’a pas tout à fait rendus illisibles.

Présentation de la thèse :http://www.theses.fr/2016BOR30002

Le nom de l’arbre

dscn0866Même si on a déployé
des trésors d’ingéniosité
pour les baptiser
merci Carl von Linné
les arbres n’ont pas de nom
un point c’est tout
ils vivent, ils verdoient
ils portent beau, ils portent haut

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Genévrier thurifère

Genévrier des Aurès, photographie de Hakim Mohamdi

On est tenté de rêver, de révérer
le genévrier
thurifère ou « porte encens »
comme un roi mage d’antan

Mais à deux, à trois reprises
il nous échappe
se cache derrière l’horizon
Où est le thurifère
sans lequel aucune cérémonie
n’aura lieu ?

Comment faire
que les dieux
remarquent nos prières
sans ta fumée
sans ton parfum
montant vers les cieux ?
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La ballade du pauvre Jean

Je suis Jean
enfin pas exactement
mais presque
Jean d’ici
par hasard de naissance
je pourrais être
Jean d’ailleurs

Bras cassé
cas social
bouche à nourrir
Jean de sac et de corde
Jean-foutre ?

Jean le décapité
à l’intelligence douloureuse
et approximative
court absurdement
ici et là
comme un poulet sans tête

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