Tout le charme…

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photo P.-A. Touge

Charme

Ce qui enchante chez le charme, ce sont d’abord les formes tourmentées qu’il prend lorsqu’il a été taillé, esquissant ici le visage de bois d’une sorcière ou encore la main d’un géant enseveli. De tous les arbres qui m’entourent, il est celui qui sent le plus son conte de fée, celui qui évoque le mieux les vieilles légendes d’arbres qui parlent ou se déplacent. D’ailleurs, comme le chêne auquel il s’associe souvent, sa souche a quelque chose d’archaïque et de gaulois.
Ses rameaux sont couverts d’un cuir gris argent, plutôt doux sous la main, et vraiment, pour l’enfant qui ose y grimper, il offre un refuge magique dont il faudrait célébrer les mérites en vers ou en incantations.
D’ailleurs, comme le saule, le charme possède un pouvoir presque surnaturel. Ses branches, quand elles se touchent, finissent par adhérer l’une à l’autre et par se souder complètement. Ses rejets, quand il est coupé à ras, se fondent ainsi parfois les uns dans les autres, jusqu’à constituer un tronc unique, cannelé, noueux, tourmenté de creux et de bosses. Les combinaisons sont presque sans limites.
De là, la charmille, abri végétal sous lequel maintes idylles ont été nouées, puisqu’on y reste caché, automne comme été, avec quelque jeune fille charmante.
En effet, son feuillage dentelé sèche et grisonne mais tient bon et ne tombe pas en automne. Les livres de botanique disent qu’il est « marcescent », le mot vient d’un verbe latin qui veut dire « flétrir », mais il a quelque chose de raffiné et d’élégant, sans que cela empêche le charme d’être solide : puisque sa croissance est lente, son bois offre une dureté de billot et d’enclume dont les artisans ont su tirer parti.

Non que je connaisse Henri Pichette, ni que je sache ce que sont des akènes, mais tout de même

Là je revêts l’arbre dont le nom change de feuilles, désormais une place dans le fort du cœur parmi les cercles de l’aubier… le vent dont je suis ivre sans que le pied me bouge… ô l’idée que je me fais des concentrations de passereaux, l’idée à rendre par les fruits:  ! Tout l’instant me déchaînera, je pense à des crépitades printanières, à des crises de résine, à des folies d’akènes… chaque nuage épluché… je veille au grain, ma mémoire sent sa première pluie. On m’ausculte, ainsi le pivert. Certains respirent dans mon armure de lichen. Au creux de moi repose l’oiseau de nuit à trois paupières.
— Au point du joue, les larmes de l’aiguail. Par brume, un décousu de rêves comme les filandres… — Et autant de planches d’appel que de branches : je délègue des ailes. Je passe de verdoyance à mordorure en me jouant. S’il y a un nouveau monde, c’est celui-là et je ne suis, bonheur vertical, pas autre chose ! l’arbre ! l’arbre, hors de la terre, et ses tons de quête.

Henri Pichette Les Épiphanies, nrf Poésie/Gallimard.

Jusqu’au 19 mai, en atelier d’écriture à Johannesburg, avec les Grandes Personnes

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Dessin : Sarah Letouzey

Avec la collaboration de Bongile Funami Mkhize, Penelope Kuzwayo, Mercy Manci, Macdonald Mfolo, Mbali Ndlozi, Pascaline Phale, S’bu aka Isaac Sithole, Pule H. Tseke, Sifiso Zimba, pour le spectacle de marionnettes géantes : Meet my in-laws, a giant match, voir aussi http://www.lesgrandespersonnes.org/.

Parmi les ramures

Photo : P.-A. Touge
Quand on aborde la question des arbres, il faut montrer une certaine hauteur de vue, se préoccuper d’architecture, de charpentes et d’étais. Or d’emblée, il s’avère que les feuilles de l’arbre ne sont pas reliées en paquets grossièrement rectangulaires, comme les livres, mais soigneusement éparses sur toute sa surface pour prendre au mieux la lumière.
Tout au plus les pages des livres sont-elles feuilles d’automne, tombées puis pressées dans un herbier.
Plus troublant encore, parmi les ramifications que dresse cette question, celle-ci, qui ne doit pas être prise à la légère — Ne rien prendre à la légère, sauf peut-être les feuilles d’automne — : alors que la phrase descend, l’arbre monte. Il dessine un trajet inverse, du sol au ciel.
Sans doute faudrait-il trouver un moyen d’écrire de bas en haut qu’il poursuit son ascension jusqu’à la cime.
Et les racines ? Aussi puissantes qu’invisibles, de quelle profondeur du texte extrairont-elles les substances nécessaires à la vie ?

Il n’y a pas de saison pour les cauchemars

J’ai croisé en rêve trois personnages. D’abord il y avait une femme que je conduisais en voiture, elle avait un problème grave, m’a-t-elle expliqué. Elle souffrait d’une maladie étrange, elle était « inflammable », c’est-à-dire qu’elle prenait parfois feu, littéralement. C’était gênant, ses amants portaient des cicatrices de brûlures, ses cheveux étaient secs et cassants et puis elle devait souvent changer de garde-robe. Pour elle, pas de vieux vêtements confortables et appréciés, qui ont pris le pli. Je l’ai déposée devant un imposant bâtiment en briques, d’allure américaine à vrai dire, où elle avait rendez-vous.
Et puis l’autre, qui m’attendait personnellement, était cet homme, celui qui s’enfermait pour feindre d’écrire un livre, jour après jour, sans jamais avouer son mensonge. Peu importait ce qu’il y avait sur les pages qu’il enfermait soigneusement tous les soirs au verrou dans son tiroir, ce n’était pas un livre. Celui-là, je n’étais pas sûr qu’il n’était pas moi, que je n’étais pas lui.
Le troisième personnage était un critique littéraire ; alors que mon roman n’était même pas encore achevé, même pas encore publié, il écrivait déjà un article qui expliquait à quel point ce texte tentait de masquer son néant par une complexité et une abondance de surface.
Parfois, il faut bien conclure que notre inconscient est un ennemi acharné, prêt à toutes les bassesses pour nous nuire.

Mandragore

Sur la tombe de quel enchanteur enseveli en plein bois a poussé cette couronne de tiges tourmentées ? Assurément, leur répartition résulte de quelque disparition. Qui est mort là ?
Est-ce un pendu condamné par un tribunal clandestin, dont l’ultime éjaculation a engendré cette de mandragore torse ?
Quoi, chaque arbre naîtrait d’une mort ou porterait son souvenir ?
Au fond des bois, sont-ce monuments aux morts, statues commémoratives, totems ancestraux qu’ils érigent, tandis que les fougères autour d’eux s’inclinent ?
Photographie P.-A. Touge

L’arbre et son double

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Dans ce pays, dont certains assurent qu’il jouxte la forêt Hercynienne, les arbres possèdent tous un double. Non pas leur ombre, quand le soleil baisse, mais pour certains un jumeau inversé, dissimulé sous la terre, exactement identique à celui de la surface, que dessinent leurs racines, comme le rapporte Virgile, dans les Géorgiques. D’autres encore ont pour double un arbre mort, alors qu’ils sont vivants, ou un arbre noir, alors qu’ils sont blancs. Pour eux, ce n’est nullement un présage néfaste, comme il en va pour nous, plutôt une habitude très ancienne.

Photographie de P.-A. Touge

Les arbres de Pline l’Ancien, dans L’Histoire naturelle

Les arbres ont été les temples des divinités; et encore aujourd’hui les campagnes, conservant dans leur simplicité les rites anciens, consacrent le plus bel arbre à un dieu. Et, dans le fait, les images resplendissantes d’or et d’ivoire ne nous inspirent pas plus d’adoration que les bois sacrés et leur profond silence. Chaque espèce d’arbre demeure toujours dédiée à une même divinité, le chêne à Jupiter, le laurier à Apollon, l’olivier à Minerve, le myrte à Vénus, le peuplier à Hercule. Bien plus, les Sylvains, les Faunes, des déesses, des divinités spéciales sont, dans nos croyances, chargés du soin des forêts, comme d’autres divinités président au ciel.

Pline, Histoire naturelle, traduction d’Émile Littré.
Photo, l’arbre sacré d’Otavalo en Équateur.

Vers 1900, Jehan Rictus

Quand tout l’ mond’  doit êt’ dans son lit

Mézig trimarde dans Paris,

Boïaux frais, cœur à la dérive,

En large, en long, su’ ses deux rives,

En Été les arpions brûlés,

En Hiver les rognons cinglés,

La nuit tout’ la Ville est à moi,

J’en suis comm’ qui dirait le Roi,

C’est mon pépin… arriv’ qui plante,

Ça n’ peut fair’ de tort à la Rente.

 

À chacun son tour le crottoir.

J’ vas dans l’ silence et le désert,

Car l’ jour les rues les pus brillantes,

Les pus pétardièr’s et grouillantes,

À Minoch’ sont qu’ des grands couloirs,

Des collidors à ciel ouvert.

 

J’ suis l’Empereur du Pavé,

L’ princ’ du Bitum’, l’ duc du Ribouis,

L’ marquis Dolent-de-Cherche-Pieu,

L’ comt’ Flageolant-des-Abatis

L’ baron de l’Asphalte et autres lieux.

J’suis l’baladeur… le bouff-purée,

Le rôd’-la nuit… le long’ ruisseaux,

Le marque-mal à gueul’ tirée

Le mâche angoiss’… le cause-tout haut.

 

Jehan Rictus, Les soliloques du pauvre, « Les Masons ».