L’aveu Nerval

On entretient parfois avec un texte une liaison secrète, on le retrouve avec délice le soir en se couchant ; si l’on est empêché de le fréquenter dans la journée, on y pense avec un sourire ; on n’en parle pas forcément aux autres. Le nom de son auteur peut être universellement célèbre, n’empêche, il s’agit d’une histoire profonde, souvent nocturne, discrète avec lui, avec son écriture, sans fanfare ni tambour.
 Malgré mes efforts, je ne parviens pas à me rappeler qui m’a introduit à Nerval, dont j’ai d’abord lu Les Filles du feu, c’est peut-être M. Jean-Paul Ballorain, dont je fus l’élève admiratif mais plutôt fuyant au lycée Henri IV de Paris. Il me fit en tout cas découvrir Baudelaire et Poe sous un jour nouveau et très vif.
« Sylvie, souvenirs du Valois » est comme l’essence des Filles du feu. En tout cas, « Sylvie » m’enchanta de sa féérie nostalgique et de sa délicate ironie, en plus de me faire découvrir que la région parisienne avait recélé jadis des espaces champêtres et paysans, que je n’aurais pas soupçonnés. En les recréant, Nerval leur invente une légende immortelle.
L’édition dans laquelle je l’ai lue n’était pas une édition scolaire. Une note médiocre et jalouse, en bas de page, signalait que Jenny Colon qui aurait inspiré telle ou telle figure de femme fictive était en réalité une actrice assez quelconque.
Petit à petit, page à page, Nerval m’ouvrit les portes d’un monde nouveau, et je ne cessais de relire Aurélia : « Le rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. » Son romantisme est aussi profond et mystérieux que celui de l’Allemagne qu’il admirait.
Le prestige de Nerval tient en partie à martyr, son destin douloureux, ses crises, ses hospitalisations, son suicide, mais la voix qui me parlait avait dépassé ces tribulations, parvenait à atteindre une forme de sérénité poétique et malaxait la pâte du rêve avec beaucoup de sûreté.
En lisant Les Chimères, je me sentais poussé au plus haut point de ma tâche de lecteur, le texte demandait ma contribution permanente, des efforts qui me rendaient à la fois plus humain et plus créatif. Au bout d’un temps, le moindre fragment de Nerval m’est devenu précieux, et avec le premier argent que me valurent mes droits d’auteur,  j’achetai ses œuvres complètes, en même temps que celles de Henri Michaux.
Chez Nerval, la texture du temps fait remonter en surface les fils du passé, non seulement sur le mode de la nostalgie ou de la jeunesse perdue, mais aussi de manière déterminante, pour modifier le présent, et venir obséder le narrateur,  et aussi le lecteur qui en reste durablement ensorcelé.

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