La contamination du mal : Simon Pitaqaj adapte pour la scène Le Rêve d’un homme ridicule de Dostoïevski

Au théâtre Dunois, Paris 13, du 20 septembre au 1er octobre 2022

Par Simon Pitaqaj et la compagnie Liria

Sachons de quoi nous parlons : Dostoïevski a publié de manière intermittente entre 1876 et 1881, année de sa mort, un Journal d’un écrivain, revue qui n’avait qu’un seul collaborateur, lui-même. En avril 1877, entre des réflexions sinistres sur la nécessité de la guerre, et la chronique du procès en appel d’une femme qui avait défenestré la fille de six ans que son mari avait eue d’un précédent mariage, il y insère Le Rêve d’un homme ridicule. Le conte participe du cauchemar ou du rêve de fièvre, ce qui résonne bien dans la traduction parfois tourmentée d’André Markowicz pour Actes Sud.
Un homme ridicule donc, un homme qui souffre douloureusement de son inadéquation avec le monde, attend le moment opportun pour se donner la mort. Perturbé par l’appel à l’aide d’une petite fille qu’il refuse de secourir, il s’endort chez lui, rêve qu’il se tue, qu’un homme noir l’emporte de son cercueil vers un monde neuf. Il découvre alors une autre terre, semblable à l’Éden, peuplée d’hommes et femmes qui vivent en harmonie les uns avec les autres et avec la nature. La contemplation de ce bonheur paradisiaque le ravit, mais bientôt il s’avère que sa simple présence, comme un virus, comme un microbe suffit à corrompre cette harmonie. Continuer la lecture de « La contamination du mal : Simon Pitaqaj adapte pour la scène Le Rêve d’un homme ridicule de Dostoïevski »

Le Pont, d’après Ismaël Kadaré, mis en scène par Simon Pitaqaj

Nombreuses sont dans toute l’Europe les légendes sur l’impossibilité d’achever la flèche d’une église, la tour d’un château ou les arches d’un pont, à moins d’un pacte périlleux ou d’un sacrifice, mais la version qu’en propose Simon Pitaqaj en adaptant pour le théâtre Le Pont aux trois arches d’Ismaël Kadaré est tout à la fois singulièrement noire et affûtée, et d’une modernité d’autant plus étonnante qu’elle a été originellement écrite en 1978 dans une Albanie elle-même emmurée, en adaptant une ballade balkanique qui prend, elle, sa source au XIVe siècle.

Fruit d’un travail approfondi, creusé à la pointe sèche et recreusé à travers une série de lectures publiques mises en espace, Le Pont, déploie sur un échiquier rigoureux la chorégraphie d’une légende ancienne, ressuscitée puis dévoyée, et finalement hissée aux dimensions du mythe par ces diverses mutations. Servis par trois comédiens d’exception, Redjep Mitrovitsa, Arben Bajraktaraj et Cinzia Menga, le texte et la mise en scène déploient le drame et sculptent l’espace du sacrifice, autour d’une paradoxale et impressionnante présence-absence de la victime. Continuer la lecture de « Le Pont, d’après Ismaël Kadaré, mis en scène par Simon Pitaqaj »