Transe express régionale

Après l’embarcadère nu
d’air, de pluie ou de vent battu
dans le train express régional
baptisé pourquoi donc, Rémi
comme l’orphelin de Malot
Brillant acronyme paraît-il
d’un Réseau de mobilité
interurbaine Centre-Loire
aux fuyantes nefs de métal
je vis l’odyssée rectiligne
du transport en commun sur rail

Mes voyages sont si fréquents
ludion humain pendulaire
petit migrateur déplumé
dormant ici puis là et là
que je ne sais plus quel trajet
est le retour, quel est l’aller

Je sais en revanche quel sens
de ce trajet fléché ainsi
qu’un vecteur de mathématique
est l’objet de ma préférence
sur la ligne Le Mans-Paris

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Un if

Un if
Longtemps rétif
à la poésie des conifères
des porte-aiguilles
qui me paraissaient
sinistres et stériles
j’ai marché jusqu’à l’if
« millénaire » de Jauzé
dans la Sarthe
entre ruisseau et bois
heureux et pensif

Sa présence ébouriffante
son tronc vrillé et fendu
l’écorce rougeâtre en écailles
l’importance sauvage
de sa ramure excluait
que l’on fasse fi de l’if

À dire vrai, l’arbre massif
et sombre au cimetière
ne portait pas de cônes
mais des fleurs petites
brunes anémophiles

Somme toute près de l’église
croissant aussi lentement
que houx ou buis
il rappelle aux morts
de l’ouest et du nord
ce que dit au sud
le cyprès d’Italie figuratif :
l’ombre noire du trépas
obscurcit le jour
mais subsiste l’espoir
qu’il ne triomphera pas
toujours de l’amour

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À la place Maubert

Plan de Merian

Un enfant de dix ans
en mille neuf cent soixante-quatorze
rêve en marchant
marche en rêvant des récits
lit en marchant
sous son gros cartable
et traverse la place Maubert
pour aller au collège
tout là-haut
en haut de la Montagne-Sainte-Geneviève
Il rêve tellement qu’il faut
le lester pour empêcher
qu’il ne s’envole
ou se dissipe en fumée

Contribue à l’ancrer
L’Anglais par l’illustration
sixième, paru chez Nathan où deux enfants
John and Betty Wilson semblent
tout droit sortis de La Cantatrice chauve
d’autant plus que le manuel est complété par des disques souples
à jouer sur un tourne-disque
où tout le monde parle
de manière exagérément articulée

L’enfant revient sur la place le samedi
pour le marché
le fameux marché de la place Maubert
et l’arpente de long en large
s’ébaudit des gibiers à poil et à plume
écartelés aux devantures des bouchers
et surtout cherche
avec une obstination d’avare
les patates
les carottes
les clémentines
les moins chères
ce qui lui donnera plus tard
le goût de la générosité irréfléchie

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Surcroît de noisetier

D’abord champêtre
bucolique, à la Virgile
car la bergère
Phyllis aime à reposer
sous le coudrier
corylus avellana
occupe un chapitre rustique
du Théâtre d’agriculture
d’Olivier de Serres

C’est si simple
si familier
la coudraie
son ombre légère
et translucide
d’un vert tendre
jeune, nervuré, gaufré
tendu sur des gaules souples

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Ma vie dans les librairies

Librairies

Une fois ou cinquante fois, ici ou là, je suis allé dans une de ces librairies, parfois intimidé ou hésitant, comme à un premier rendez-vous, toujours un peu ému et souvent heureux comme un enfant le soir de Noël. Étaient-ce pour moi des temples dont les libraires auraient été les desservants ? J’ai erré dans la forêt des signes, fouillé, trouvé de véritables cartes au trésor, et régulièrement eu des vertiges en achetant des livres qui n’étaient pas du tout dans mes moyens. J’y ai dédicacé mes romans à des poignées de lecteurs qui étaient surtout des lectrices : « Vous savez, moi, les romans, c’est surtout ma femme qui… »
J’y ai quelquefois lutté contre une tristesse noire en achetant un livre, Le Mal des fantômes de Benjamin Fondane, par exemple. Je veux bien avaler toute la tristesse du monde tant qu’il y a la force de la beauté. Chez un bouquiniste des quais de Paris, j’ai trouvé précisément plusieurs volumes du livre que je cherchais ce jour-là, Vie des grands capitaines français et étrangers de Brantôme.
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Face au texte : Le mot écran

Souvent, je cherche mes mots ou plus exactement j’essaie de retrouver un mot dont la précision, l’élégance, la saveur me hantent. Le souvenir est très net, mais le mot qui me vient n’est pas celui-là, mais un autre, approximatif, plus banal.
Pis encore, il m’empêche de retrouver celui que je cherchais : il fait écran. Ce mot écran reste là, cachant l’autre dans son ombre.
Je lutte, j’engage diverses stratégies pour retrouver mon mot, dictionnaires, lexiques, divagations calculées.
Quelquefois la conclusion s’impose : le mot que je cherchais n’existe pas. Ne reste que l’ombre qui le masquait.
D’autres fois, derrière le mot écran, je ne trouve qu’un pâle reflet du mot désiré, tout à fait dépourvu de magie.
Faut-il envisager un néologisme ? Tout démolir et réécrire pour abolir sa nécessité ?
Plus rarement enfin, on le déniche derrière l’écran, en sa splendeur native d’oiseau de paradis, de vieil ami, d’amour d’enfance ou de trésor de pirate.

Adieux au ticket

Feuille de l’arbre de la circulation souterraine
petite page d’un carnet où noter fugitivement
promesse de voyage, Danube ou Argentine ?
annotations et impressions automatiques

Sauf-conduit pour tourniquet et contrôleur
en embuscade au coin du couloir
«  titre de transport » en langue administrative
fils de l’étiquette et du ticket anglais

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Le chevalier véridique

Pour mon roman encore inédit, que je relis encore, Le Chevalier véridique, j’ai écrit ce poème, imité des ballades de l’Aurès des anciens temps.

Oiseaux, cessez vos chants !
Tais-toi, le vent !
Malgré son courage,
L’ami de l’homme à l’épée,
Le chevalier véridique,
Les Français l’ont pris.
Seul Dieu est immuable dans les Cieux.

Près de sa maison,
Le palmier abattu a saigné
Et ses fils ont été dispersés.
Une averse de flammes
A brûlé le lieu de prière et d’études,
Dispersé les feuilles des savants traités.
Seul Dieu est immuable dans les Cieux.

Le sage de la montagne rouge est tombé,
Une vile trahison
L’a livré à ses ennemis !
Ô montagnes difficiles à gravir,
Hélas ! montagnes de la révolte,
Qu’êtes-vous devenues ?
Seul Dieu est immuable dans les Cieux.

Mais les graines semées par sa voix
Germeront et des épis nombreux
Lèveront dans les oasis et les villages.
Reviendra le temps de l’abondante moisson
Et de la faucille recourbée
Comme un croissant de lune.

Sept châteaux

I. Manoir éphémère

Probablement lundi
reconstruire le château
démoli par les intempéries
l’incendie
ou la police nationale
rassembler les hardes
éparpillées
rebâtir
la frêle cabane
de pluie, de bâches
bois, carton et courants d’air
radeau d’entre deux naufrages
dessin d’enfant collé
sur la porte dégondée

II. Château pour quoi ?

Non enfermer
moi dedans et vous dehors
ou l’inverse
mais circonscrire un espace
à nos rêves
notre soif d’habiter
en Bohême ou en Espagne
offrir refuge
panser plaies
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