Laurier sans couronne

Il faut rester
sous tes branches
pour sentir ce que tu sens
Ô laurier
écouter ce que tu contes
entendre si une nymphe
soupire dans ton feuillage luisant
tout bas
dans une langue secrète

Tenons-nous, toi et moi
loin du tintamarre assourdissant
des clairons, des trompettes
du fracas des glaives
des victoires militaires
des gloires à l’Antique
Plus près d’une vérité végétale ?

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Le chardon, lieu d’être

Un jeune chardon, crayon bic sur papier margé, Erolf Totort

Flore, le hasard
fait bien les choses
me propose
de m’attaquer non à la rose
mais au chardon
faut-il que je sois âne ou bouc
gencive dure et surtout langue râpeuse ?
Poète brut ?

Mais bon, je marche, je mâche
On peut compter sur moi
pour en faire toute une histoire
et poser, impudent crâneur
pour un portrait de l’artiste
non en bonnet d’âne
mais tenant un chardon
comme notre maître Albrecht Dürer

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La question houx


Certes, il reste vert
en hiver
ilex aquifolium
et cela nous rassure
peut-être encore
sur le retour
des beaux jours

Mais une fois décrochées
les décorations de Noël
une fois passées les festivités
et les pâtisseries
que reste-il du houx ?

Un cri dans la forêt
appel ou avertissement
de bête nocturne

Entre en scène le coriace
chevalier vert
cuirassé de pointes
en sa jeunesse

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Mon amie la ronce

Pourquoi la ronce ?
me demandera-t-on
Ce n’est pas la plus belle
des fleurs de mon jardin

Peut-être parce qu’elle est
mal aimable, rebelle
épineuse ?

Peut-être parce que les écorchures
causées par ses aiguillons
ont un air enfantin
d’école buissonnière
d’aventure
et de gourmandise

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Le masque de lierre

Pourquoi arracher le lierre ?
Liane du nord, hedera helix
liane ligneuse
Vêture du bonhomme hiver
linceul des vieilles demeures
couronne de bacchante
ceinture de fée nue

Il faut bien qu’il cache un secret
et j’ai dû croiser un jour
sans me souvenir où
un masque de feuilles vernissées
où deux yeux étincelaient

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Étienne Jodelle « J’aime le lierre aussi, et sa branche amoureuse »


D’Étienne Jodelle, dans Les Amours (1574)

J’aime le vert laurier, dont l’hiver ni la glace
N’effacent la verdeur en tout victorieuse,
Montrant l’éternité à jamais bien heureuse
Que le temps, ni la mort ne change ni efface.

J’aime du houx aussi la toujours verte face,
Les poignants aiguillons de sa feuille épineuse :
J’aime le lierre aussi, et sa branche amoureuse
Qui le chêne ou le mur étroitement embrasse.

J’aime bien tous ces trois, qui toujours verts ressemblent
Aux pensers immortels, qui dedans moi s’assemblent,
De toi que nuit et jour idolâtre, j’adore :

Mais ma plaie, et pointure, et le Nœud qui me serre,
Est plus verte, et poignante, et plus étroit encore
Que n’est le vert laurier, ni le houx, ni le lierre.

Le pays de l’alisier blanc

Montant au col de Beauvoisin
en vue de la croix de Justin
autre pays des merveilles
essoufflé mais les yeux grand ouverts
sur une pente buissonneuse
j’ai aimé
l’allant de jeunes arbres
l’élan vigoureux et désordonné
de leur tronc mince
gris, tacheté
moins appesanti
que moi par la gravité

Comment ne pas admirer
leurs faisceaux de fruits
verts, orange ou rouges
selon leur maturité
et surtout la danse changeante
de leurs feuilles gauffrées
argentées au verso ?

J’ignorais leur nom
peut-être un sorbus
genre fourre-tout
ou un prunus inconnu ?
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Dans les yeuses

Là bas, jadis, au pays d’Épire
barbare et mystérieux
lointain, nordique et pluvieux
du moins au yeux des Grecs
dans le bruissement des ramures
d’un bois de chênes
on déchiffrait les paroles de Zeus
le dieu assembleur des nuées
et la légende de Dodone me fascine

Me mêlant de ce qui ne me regarde pas
je me demande si les chênes
nous observent
quand leurs rameaux
oscillent et chuchotent
même sans vent

Serviteurs de l’oracle
les Selles, ascètes méconnus
vivaient pieds nus
Mal lavés, dit Homère
ils dormaient à même le sol
sans doute pour mieux
comprendre les arbres
mais on ne nous dit pas
s’ils rêvaient debout
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Le figuier, arbre aux fables

Nain peut-être
au royaume des lettres
souvent les fruits poétiques
paraissent hors de portée
pourtant, je m’obstine et
me hisse sur la pointe des pieds

Mais heureusement cet arbre-ci
un peu plus au sud
incline sa ramure et ses énigmes
jusqu’à moi
sans fatigue

Son tronc ?
Gris, lisse
parfois tors, déviant de la verticale
se livre à des penchants capricieux

Ses branches ?
sinueuses, cassantes
annelées ou bourgeonnantes

Son ombre ?
Dense et fraîche
aurait tenté le serpent
d’y abriter son intrigue

Son parfum ?
Riche et sucré
pour peu qu’il soit chauffé
au soleil d’été

Ses feuilles ?
Vernissées, de forme aussi variée
que les interprétations d’un verset sacré
auraient aidé les parents premiers
à cacher leur nudité
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