Au ras des pâquerettes

Aurel et ses environs offraient aux petits Parisiens que nous étions un luxe de bestioles passionnant par sa variété : arbres, brins d’herbes, rochers grouillaient de vies authentiquement minuscules.

Mais avant de considérer des créatures plus exotiques, à tout seigneur tout honneur, il faut reconnaître qu’au premier abord c’était l’abondance de mouches qui nous impressionnait. En été, il fallait subir leurs attouchements indiscrets, et la plupart des maisons du village étaient décorées de rubans visqueux de papier tue-mouche où, engluées, elles agonisaient bruyamment. Bien plus tard, je m’en suis souvenu en lisant des propos attribués au sévère Martin Luther : « Je suis grand ennemi des mouches, quia sunt imago diaboli et haereticorum ; elles sont l’image du diable et des hérétiques. Lorsque j’ouvre un bon livre, les mouches accourent et se posent, se promènent dessus, comme si elles voulaient dire : “Nous sommes là et nous souillons ce livre de nos excréments !” »

Certaines de ces rencontres nous frappaient de stupéfaction : l’énorme chenille du grand paon de nuit, jaune vif moucheté de points bleu ciel, comme un jouet en caoutchouc, semblait échappée des forêts de l’Afrique. Le sphinx à tête de mort déniché sur la porte du château d’eau, acherontia atropos, portait un dessin tellement évocateur que l’on doutait qu’il fût naturel. Le sphinx colibri, dit aussi « caille-lait », qui butinait les fleurs sans jamais s’y poser, évoquait un oiseau sud-américain.

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Mûrier blanc

Ce n’est pas un Maure blanc
morus alba
mais l’arbre le plus exotique
d’une enfance
à dévaler l’été
les chemins caillouteux
ivre d’une liberté
inconnue dans nos villes

Toujours un arrêt
à l’ombre dense
sous le feuillage épais
d’un arbre trapu et courtaud
taillé en têtard ou cabasso
que je savais étranger

Le mûrier blanc
gorgé de sucre à l’été,
bonbons spontanés
arbre de cocagne
tachait le sol d’écarlate ou de pourpre
fruits rouges ou blancs saturés de chaleur
de guêpes et de bourdonnements
que personne ne se mêlait de manger
sauf les insectes, les oiseaux et nous

Le gentilhomme ardéchois
et résolument huguenot
écrivain d’antan
dont je fréquente souvent
le Théâtre d’agriculture
Olivier de Serres
acteur important
de son histoire
critique « la fade douceur » du fruit
et le réserve aux « femmes dégoûtées
enfants et pauvres gens
en temps de famine »

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