Perdu rue Saint-Louis-en-l’Île

Fantôme
comme trois pommes
rue Saint-Louis-en-l’Île
à l’âge où l’on
commence à aller
à l’école tout seul

Au départ
si petit
qu’on l’a remis
en cours préparatoire
par erreur
alors qu’il savait
déjà écrire

Nichée dans l’ombre
de l’église
mais publique
l’École de garçons
derrière un porche
comme un puits
tableau noir laïque
et coups de règle
sur les doigts
Édouard Bled
c’est tout dire
y a enseigné

L’instituteur raconte
la bataille d’Austerlitz
avec des trémolos dans la voix
Le roi Saint Louis
rend la justice sous le chêne
et meurt de la peste en Tunisie
Ah, ça ira avec le roman national

Au-delà de la forêt gothique
ajourée du
chevet de Notre-Dame
vue sur la Seine
de l’air, du vent
un cygne, un canard
quelquefois
un pont tout neuf
que j’ai vu construire
mais que je continuerais
à appeler « la passerelle »
en mémoire de la vilaine
cage d’acier qui l’a précédé
en remplacement d’un autre
emporté par la péniche
« La Tunisie » en mil neuf cent
trente neuf

Qu’est-ce qu’ils ont tous
avec l’Afrique du Nord ?

L’enfant qui passe là
je ne le connais plus
Il vient d’apprendre à lire
et je ne sais ce qu’il pense

Je crois qu’il était triste
se sentait perdu
Ni faim ni froid ni deuil
pourtant un chagrin
démesuré pour un gamin

Dans mon souvenir
la rue Saint-Louis-en-l’île
est un parcours solitaire
alors que ma mère
a dû m’accompagner
parfois, et mon frère

Est-ce que le temps
diffère dans l’île ?
Elle semble immuable
comme si l’on entrait
dans une toile de Manet
ou un poème photographique
d’Eugène Atget
Temps de pluie

Est-ce qu’il ne se passe
jamais rien dans l’île
figée dans une sorte d’éternité
sombre et fraîche
comme un sorbet de Bertillon
enfumé par le club
des Haschichins ?

Pourtant, Landru
a été enfant de chœur à l’église
Les hôtels particuliers
doivent bien receler
quelque drame secret
Mais ils ne sont pas pour nous
You, les petits cailloux

Balcons en fer forgé
Ici, jadis une synagogue ?
Quels jardins cachés
derrière les façades ?

Les dragons et mascarons
de l’hôtel Chenizot
abritaient encore les restes
d’un garage automobile
Tout n’était pas encore
ripoliné

À l’école
— Contiens cette toux
psychosomatique
causée par le divorce
de tes parents
dit l’institutrice

Moi aussi je suis divorcée
Et ce n’est pas pour ça
que mon chien m’a mordue
en pleine joue, laissant
cette vilaine cicatrice

Par hasard, ces jours-ci
Je suis tombé sur
La Vie manquée de Félix Arvers
signé, faut-il y croire
par un docteur O’Followell

Arvers est un poète
né dans l’île, rue Budé
célèbre jadis pour un sonnet
à une belle inconnue
Aujourd’hui bien oublié
il a publié en 1833
Mes heures perdues

Il faut que je cesse
de me passionner
pour les poètes
méconnus et
leurs vies ratées
Ça va mal finir

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