Victoire du poirier

Photo de Mickaël Jézégou : Le monumental poirier de Keranfaro, Taulé, Finistère, sur le beau site des têtards arboricoles

Géant échevelé
surgi au détour d’un chemin
dans un vallon drômois
ou nain noueux et écailleux
dans mon jardin de Normandie

L’un Pyrus pyraster, sauvage et épineux
aigrin ou pérussier
aux fruits petits et âcres ?
arbre maudit selon les traités étrusques
L’autre Pyrus communis, domestique
arbre porte-chance des anciens
qui offre à l’automne
un dessert suave
cuisse-madame ou bon-chrétien ?

Ce serait trop simple
Ils ont coutume
de s’hybrider
mêlant leur gênes
préviennent les botanistes

Le poirier commun
s’élève en espalier
ou en buisson
Je préfère en plein vent
son bois dont on fait
les flûtes et les bassons

Luthiers, ébénistes,
graveurs
et relieurs de livres
aiment à caresser
le grain régulier
de ce bois rouge

Mais disons d’abord
en passant
sauf votre respect
je ne jetterai
pas la pierre
au travailleur
qui l’a taillé sévèrement
à celui qui, frigorifié
a brûlé ses branches
au risque de blesser
l’arbre aux fruits d’or

On projette sur l’arbre
nos visages humains
mais ils sont loin, si loin
de nous

Aucun poirier n’a envahi
avec ses phalanges l’Italie
pour sauver la liberté grecque
ni semé trop de morts
dans les champs
pour remporter
d’autres victoires

Lui, plutôt la stase
ou l’aséité
que l’extase
guerrière
Révérence !

Xoanon du musée d’Irpino

Arbre au visage divin
poteau sculpté
presque totem
l’antique xoanon
de la déesse Héra
protectrice des femmes
et des épouses
à Tyrinthe était
taillé dans un poirier

Celui d’Asclépios
dieu de la guérison
en poirier aussi
mais vêtu d’une tunique
de laine qui ne laissait dépasser
que la tête et les mains
dans le Péloponnèse, à Titané

 

De quel bois était
des Saxons, l’irminsul
vénéré en plein air
pilier du monde
des Mapuches, le chenamul
pour les funérailles
des Algonquins
le totem, addition
d’esprits animaux
du clan ?

Conclurai-je qu’un philosophe athée
de l’âge des Lumières
auteur de L’Homme machine
Offray de La Mettrie
demanda par testament
d’être enterré
non au pied d’une horloge
mais à celui d’un poirier ?

Ou plutôt que c’est près d’un poirier
qu’Ulysse déguisé
retrouve son vieux père
épuisé et maltraité
dans l’île d’Ithaque
aux arbres battus des vents
âpre, et rocheuse
mais bonne nourrice
de jeunes hommes ?

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