Derechef, feuilleton des bouleaux

Un : prolégomènes forestiers

Au bouleau de nouveau
il y a, je ne dirais plus
du pain sur la planche
(quoique Barthélémy l’Anglais
décrive des hommes sauvages
qui mangent du pain de bouleau
Liber de proprietatibus rerum)
mais tant à raconter
que je crains de perdre le lecteur
dans une forêt russe
une bibliothèque feuillue
plantée de colonnes pâles
comme des fantômes
mais signées de noir

Effeuillons donc un feuilleton
même si, de vrai
je ne sais pas bien
dans quelle taïga nous allons

Deux : préambule couché

En montagne
ou très au nord
au ras du sol
pays des neiges
et nuits sans fin
rampe le bouleau nain
betula nana
près du lichen
écume des rêves
pâture des rennes
guère plus qu’une broussaille
aux feuilles rondes et dentelées

Celui-là n’est pas le bois dont
les Samis font
des tambours prophétiques Continuer la lecture de « Derechef, feuilleton des bouleaux »

Le rouge-gorge et le bédégar

Dans la forêt du sommeil
dans la forêt du langage
rêve des feuillages

Quelquefois, il s’égare, papillon
à la recherche de la fleur
sur laquelle se poser
le mot

Un des précieux lexiques
dont Gérard de Crémone
Italien installé à Tolède
accompagnait
ses traductions de l’arabe
cite le bédégar
au douzième siècle

Rose du vent
vent et rose
en arabe, en persan
bédégar ?

D’un air de brigand
des Mille et Une Nuits
bédégar a désigné
une rose, le chardon-Marie
l’églantier et puis enfin
cette effloraison
étrangement chevelue
qui l’embroussaille

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Épitaphe pour cent mille pins des Landes

Photo archives Philippe Salvat

Normalement, avec les arbres
les événements sont rares
Avec eux, peu d’actualité
on peut prendre son temps
mais la normalité n’est plus
ce qu’elle était

Normalement, ce n’était pas mon préféré
surtout quand la pinède
était plantée en rangées
prêtes à moissonner
à l’abatteuse mécanique
Sous-bois sombre et silencieux
sec, déjà endeuillé
ombrage qui manquait de fraîcheur
mais la normalité n’est plus
ce qu’elle était

pinus pinaster
répertorié dans le catalogue
du merveilleux jardin de Kew
par l’Écossais sourcilleux
William Aiton en mil sept cent quatre-vingt-neuf
alors qu’il est plutôt méditerranéen
Cortège funéraire :
pin pinastre
pin des Landes
pin maritime
pin de Corte, aussi
en Corse

Hélas, les héros de l’Iliade, morts
étaient couchés et réduits en cendre
sur un brasier de pin maritime
Cortège cinéraire !
Les larmes de résine
sont hautement inflammables

Écorce écailleuse
profondément sillonnée
et rugueuse
brun rouge
Pollen jaune
Parfum qui libère les poumons
humains
Aiguilles vives pour trois ans
Tempérament de feu

Dans la Rome antique
les flambeaux de pin
éclairaient la jeune mariée
Rameaux et pommes de pin
évoquaient le culte de Cybèle
mystérieuse et souterraine
déesse mère
de sang de taureau abreuvée

Mais par milliers, par dizaines de milliers
par centaines de milliers, par millions
les pins pinastres
désormais désastre
ont été incinérés par l’été deux mille vingt-deux
autour de la Teste-de-Buch et de Landiras
écorce, rameaux, bourgeons et pigne, tout entier
Mille à mille cinq cents plans par hectare
c’est vous dire
sangliers en feu qui courent
chevreuils ébouillantés
La même année
les monts d’Arée
aussi ont brûlé

Avec eux est partie en fumée
toute une histoire
qui commence, paradoxe
avec des Landes de Gascogne
trop humides
pour être cultivées
les dunes empêchant
l’eau de se déverser dans la mer

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L’arbre transparent II – Orme

Appliqué à voir ce qui n’est plus là

je sais enfin l’arbre fantôme
qui me hantait, c’est l’orme

« Sentez-vous son parfum spectral
frais le matin après une averse printanière ? »

Enfant, entre soixante-dix et quatre-vingt
je n’ai pas vu les grands ormes mourir

presque tous étouffés par la graphiose
épidémie revenue avec des bois américains

J’étais plus près de l’orme Saint-Gervais
l’arbre de justice, que de Saint-Fulgent-des-Ormes

Ici en Normandie, il était partout
et n’est plus nulle part, nul écho

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La question houx


Certes, il reste vert
en hiver
ilex aquifolium
et cela nous rassure
peut-être encore
sur le retour
des beaux jours

Mais une fois décrochées
les décorations de Noël
une fois passées les festivités
et les pâtisseries
que reste-il du houx ?
un cri dans la forêt
qppel ou avertissement
de bête nocturne

Entre en scène le coriace
chevalier vert
cuirassé de pointes
en sa jeunesse

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Les arbres de Pline l’Ancien, dans L’Histoire naturelle

Les arbres ont été les temples des divinités; et encore aujourd’hui les campagnes, conservant dans leur simplicité les rites anciens, consacrent le plus bel arbre à un dieu. Et, dans le fait, les images resplendissantes d’or et d’ivoire ne nous inspirent pas plus d’adoration que les bois sacrés et leur profond silence. Chaque espèce d’arbre demeure toujours dédiée à une même divinité, le chêne à Jupiter, le laurier à Apollon, l’olivier à Minerve, le myrte à Vénus, le peuplier à Hercule. Bien plus, les Sylvains, les Faunes, des déesses, des divinités spéciales sont, dans nos croyances, chargés du soin des forêts, comme d’autres divinités président au ciel.

Pline, Histoire naturelle, traduction d’Émile Littré.
Photo, l’arbre sacré d’Otavalo en Équateur.