Déportement de l’écriture

Couverture de livre

Par un intéressant coup du sort, la suite de Tuer Napoléon III (paru à Paris, chez Plon), qui se concluait sur la déportation du typographe républicain Étienne Sombre en Algérie, dans le bagne de Lambèse, en bordure des Aurès, paraît à Alger, aux éditions ANEP. Sans doute, il sera difficile de se le procurer en France.
Je ne m’en plains pas, et je suis heureux que Le Chevalier véridique aille à la rencontre de lecteurs algériens. Bien sûr, mon écriture, mon livre n’ont pas été déportés, disons qu’ils ont subi un coup de vent qui les a envoyés de l’autre côté de la Méditerranée. En revanche, l’un des fils de mon héros, Si Brahim Ou Si Saddoq a été déporté en Corse.
Il y a toujours un déportement dans l’écriture, et Le Chevalier véridique en comporte plusieurs, dont je mesure bien les périls, mais si la fiction ne permet pas de déplacer le point de vue, n’entraîne pas à se mettre à la place de l’autre, à quoi bon ?
Le travail sur ce roman m’a déjà donné plusieurs bonheurs, celui d’une recherche fructueuse dans les archives civiles et militaires de la colonisation pour mieux connaître le cheikh soufi Si Saddoq Ou l’Hadj, un voyage réel dans les Aurès et à Biskra, de chaleureuses rencontres dans un pays dont je n’avais fait que rêver jusque-là. J’avais eu l’occasion de l’habiter en imagination et en écriture pendant des mois, pour ne pas dire des années. Puisse le déplacement du Chevalier véridique vers Alger, que je vois comme un signe d’ouverture, contribuer à nous rapprocher d’une époque où Algériens et Français communiqueront plus librement les uns avec les autres, et où les livres parus d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée circuleront plus facilement.

Le livre sera disponible pour le 25e Salon international du livre d’Alger qui se tiendra du 24 au 31 mars 2022. Et on pourra le retrouver au Festival du livre de Paris, le 23 avril 2023, au stand de l’Algérie.

Fragments d’un voyage à Biskra

L’Algérie d’entrée transforme mon voyageur en benêt, il dit merci cent fois par jour, sourit à tout le monde et s’émerveille de tout, comme frappé d’insolation ou enivré par un enchantement.

Il faut dire qu’il est accueilli avec une amabilité et une grâce si parfaites qu’il se sent immédiatement comme dans son propre pays.

Sur le boulevard, en bordure d’Alger, en bordure de la mer, un chauffeur de taxi crée un espace de prière, en posant un petit tapis sur un coin de trottoir, et là il est seul et recueilli avec son Dieu, malgré la circulation automobile.

Le soleil d’hiver là-bas ressemble à celui de notre printemps, et les taxis collectifs inter-wilayas reluisent. Des hommes en burnous crient « Biskra, Biskra ! », car on attend que la voiture soit remplie pour partir.

Enfin, le taxi démarre, fusée un peu suicidaire lancée vers le Sud. Sa galerie siffle comme une harpe éolienne.

Il souffle un grand vent de poussière, un grand vent de fumée de pots d’échappement, mais les hommes ne deviennent pas fous et se contentent de plisser les yeux pour mieux voir.

Ici, semble-t-il, on n’a pas le culte du passé, pas de dévotion pour les édifices anciens, par endroits le pays semble avoir surgi de terre il y a vingt ou trente ans.
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Genévrier thurifère

Genévrier des Aurès, photographie de Hakim Mohamdi

On est tenté de rêver, de révérer
le genévrier
thurifère ou « porte encens »
comme un roi mage d’antan

Mais à deux, à trois reprises
il nous échappe
se cache derrière l’horizon
Où est le thurifère
sans lequel aucune cérémonie
n’aura lieu ?

Comment faire
que les dieux
remarquent nos prières
sans ta fumée
sans ton parfum
montant vers les cieux ?
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