Paul Lepic à contretemps

Tout petit déjà, Paul était contrariant et entêté, facilement décidé à jeûner plutôt qu’à manger son assiette de soupe. À Paris, Georges Pompidou construisait le centre Beaubourg et les voies sur berge… Vasarely et l’Op Art sur tous les murs. Ailleurs, poussaient les centrales nucléaires. Tout était en place pour aller de l’avant. Le futur devenait automobile, il suffisait d’y monter. 

Alors, on ne sait quelle irritation l’a pris, quel besoin précoce de désobéir… Il est soudain parti dans l’autre sens, vers le passé, à contresens, à contretemps. Il a étudié le latin et le grec que l’on commençait déjà à abandonner ; rien ne lui plaisait comme la poussière des vieux livres.

Personne ne le suivait, et cela aurait dû l’inquiéter. Il s’est retrouvé largué, seul dans son canot, dans son château, dans sa tour d’ivoire.

Il n’a pas eu raison, il n’y a guère de raison là-dedans, juste un contresens. Il est simplement parti dans l’autre sens, non pas vers une avant-garde peut-être devenue impossible, mais en rétrogradant, en revenant vers l’arrière… Une erreur d’orientation, somme toute !

Il a faussé compagnie à son époque qui l’a rapidement distancé. Le divorce était prononcé.

Depuis ce jour, il habite ce contretemps, cet anachronisme. Il y campe et s’y fortifie, stocke des armes, fomente des révolutions, griffonne des vers. Le contretemps est froid et solitaire, mais de là, de son belvédère, il a une vue inégalable sur ce marais navrant que les autres appellent le présent. Il cherche son point faible, là où l’attaque pourrait réussir.

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