Les grands bois

Photographie de P.-A. Touge

Quoique l’on s’y promène, les forêts effraient un peu ; ne serait-ce que par cette habitude des arbres d’accueillir sur les feuilles les gales, sur leur tronc lichen et mousse, dans leur écorce cloportes et compagnie. Si notre épiderme présentait la moindre de ces attaques, comme nous nous ruerions chez le médecin !
Si les arbres parlent, nous ne comprenons pas leur langage ; si nous étions blessés, agonisant, à leurs pieds, ils n’esquisseraient pas un mouvement pour nous secourir.
Tous ensemble, ils brouillent la visibilité, atténuent la lumière, ils sont propices aux embûches et aux embuscades.
La sylve est hantée, elle craque, elle gémit. Elle fait croire à une présence quand il n’y a personne, et dissimule complaisamment le brigand et le loup : elle a toujours des profondeurs auxquelles nous n’accédons pas.
Les bois ont, osons le mot, quelque chose de gothique ; « Grands bois vous m’effrayez comme des cathédrales » écrivit Baudelaire, ils tirent nos regards vers le haut, à donner le torticolis ou le vertige, comme les grandes orgues, mais cachent le ciel.
Y errer seul peut provoquer des accès de panique — du nom d’un étrange dieu grec, seigneur des faunes, des sylvains et des dryades.
Petit dans leur grande ombre, je me souviens des arbres qui détruisirent une légion romaine tout entière en Germanie, qui marchèrent contre une armée au pays de Galles.

 

La Ligne jaune jouée pour les grévistes de l’usine PSA d’Aulnay-sous-bois en avril 2013

Trois mois de grève, des lettres de licenciement qui tombent comme une mauvaise grêle, et pourtant le public était attentif, sensible et chaleureux. Les grévistes tiennent bon et ne se résolvent pas au silence.

« Nous nous battrons comme des lions. »

La caisse de soutien :
Soutien aux salariés de l’automobile du 93

Photographie M. Morettti

Spectacle des Grandes Personnes, avec Raphaële Trugnan, secondée par Pauline de Coulhac, avec la participation de Mao Moretti et Jean-Baptiste Evette.

La Ligne jaune sur le site des Grandes Personnes

« La rue Galilée », est-ce que c’est bien sérieux ?

La rue Galilée

Pourquoi n’a-t-on jamais chanté
la rue Galilée
La rue Galilée pleine de dahlias
La rue Galilée pleine d’hortensias
La rue Galilée aux nobles frontons
La rue Galilée aimée des piétons
La rue Galilée bordée de canaux
La rue Galilée chérie des autos
La rue Galilée terriblement belle
La rue Galilée qui est vraiment celle
qu’il me faut chanter
en prose et en vers
à tout l’Univers
la rue Croix-Nivert

Raymond Queneau, Courir les rues, 1967.

Au théâtre, Glorieux, Glorieuses

Ce spectacle de la compagnie des Anges Mi-Chus, mis en scène et conçu par Anne Carrard, est divisé en deux tableaux ou plutôt deux actes. Le premier est joué par Benoît Hamelin et Maximilien Neujahr, le second par Pauline de Coulhac et Raphaële Trugnan, en compagnie d’une sorte d’échafaud, ou d’échafaudage de métal qui constitue l’unique décor, et qui se fait tour de guet, autel pour sacrifice, bureau ou pont de navire, à moins que ce ne soit une jetée ou un poteau téléphonique. Les protagonistes du couple féminin et du couple masculin sont parfaitement complémentaires, avec des présences physiques, des attitudes qui leur permettent d’incarner des personnages merveilleusement présents et distinctifs.

Si les activités répétitives des deux duos apparaissent d’abord comme une de ces tâches absurdes et comiques que nous impose le quotidien, auxquelles nous feignons d’attacher de l’importance, en quoi la vie paraît s’inspirer d’une pièce de Beckett, détail par détail, touche par touche une tragédie se dessine.
Les hommes jouent à échanger des messages secrets au téléphone, puis s’amusent à la guerre, tandis que les femmes jouent à attendre un retour, s’efforçant de vivre entre temps, rêvant autour de livres, dont l’un raconterait une vie alternative du bouillant d’Achille en danseur de tchatchatcha.

Cela paraît léger, absurde, mais ce petit monde obsédé par des rituels baroques, drôles et émouvants, qui danse, qui chante, qui mime, qui se querelle comme un Lucky et un Pozzo dans les bureaux d’une DGSE fantaisiste et dérisoire, est guetté par la tragédie. L’ennemi viendra, il y aura des morts, la menace pèse comme une certitude. On sacrifiera forcément une femme sur l’autel de la guerre. Le catalogue des vaisseaux de l’Iliade, le fragment de l’Hécube de Sophocle viennent confirmer ce dont le spectateur commençait à se douter : il s’agit finalement d’une tragédie.

Cependant, aucun mode d’emploi ne vous est livré, le spectacle prend le risque de faire confiance à l’intelligence et à la culture d’un spectateur, emporté dans un succession de fragments délicieux et comiques, entre des tourbillons de fumée ou de poussière : les énigmatiques appels téléphoniques, la liste des différentes sortes de morts rangées par thème (les morts « liquides », les morts « piquantes » etc.). Et l’emploi de la chanson « Stagger Lee » de Nick Cave, je ne vous dis que ça !

Glorieuses – le clip from Jul on Vimeo.

Face au texte : cuisiner sa propre langue

Cuisinez votre propre langue :dans la chair des voyelles, entre les os des consonnes, levez de beaux filets de langue, dégraissez-les, séchez-les, frottez-les de sel. Puis mangez votre propre langue toute crue, pour qu’elle vous devienne consubstantielle.

Résidence à la Villa Mais d’Ici d’Aubervilliers

Faut-il le dire, de janvier à octobre 2013, je suis accueilli en résidence à Aubervilliers, dans la Villa Mais d’Ici, rue des Cités, sur un financement de la région Ile-de-France.
On m’y trouvera plus facilement le mardi et le mercredi. Au programme, mémoire et transformation de la ville, ateliers d’écriture, réalisation d’un livre sur la Villa et son quartier. Et puis un projet de roman intitulé pour l’instant Leila disparue.

Mon arrivée à Aubervilliers

Carte postale issue de la collection des archives municipales d’Aubervilliers.

La résidence sur le site remue.net

La résidence sur le site de la Villa Mais d’Ici

 

Roman II, Jacques Roubaud

C’est un autre roman encore, peut-être le même.
Un homme abandonné, à cause d’une mort, reçoit un coup de téléphone. Ce coup de téléphone est un appel d’une femme aimée, et morte.
Il reconnaît sa voix. Elle appelle d’un monde possible, autre, en tout point semblable à celui auquel il est habitué, avec cette seule différence que, dans ce monde, elle n’est pas morte.
Mais que dira-t-il ? Que s’est-il passé dans ce monde-là en trente mois ? Que lui dira-t-elle ? Comment entrerait-il dans ce monde où l’horreur n’a pas eu lieu, ce monde à la mort abolie, où la lutte continue contre la mort, où ils s’obstinent à ce combat qui, ici, dans le monde où il est encore au moment où il décroche l’appareil, a été perdu ?
Il décrochera, et il entendra sa voix. Le monde où il est encore (le téléphone vient de sonner mais il n’a pas encore bougé la main pour répondre) sera oublié.

Jacques Roubaud, Quelque chose noir, Poésies Gallimard.

Avec toute la révérence d’un voleur de trésors.