Objets d’enfance

 

Elisabeth Vigée-Le Brun (1755-1842), peintre
Pajou Augustin (1730-1809)
Paris, musée du Louvre

Voulant écrire un petit texte sur un objet, pour préparer un atelier d’écriture au centre pénitentiaire d’Alençon-Condé sur Sarthe, il ne m’est venu à l’esprit que des idées qui paraissaient remarquablement mal choisies.

Ainsi, j’ai d’abord pensé au premier jouet dont je me souvienne, un camion miniature, probablement de la marque Dinky Toys. Ce modèle de Citroën HY noir et blanc, marqué «Police», servait de «panier à salade » comme on disait. C’était un véhicule d’apparence étrange, très carré de forme, avec des parois de tôle ondulée. J’étais tellement petit que l’idée de police ne devait rien évoquer pour moi. Je crois que ce camion Citroën est le seul objet qui fasse le lien entre l’avant et l’après d’un déménagement. Il possédait peut-être la caractéristique rassurante de continuer à être là, alors que tout avait changé autour de moi.

C’est ensuite mon premier couteau qui s’impose, alors que ce n’est pas un objet très adéquat à évoquer en prison. J’étais plus vieux ; comme d’autres gamins de mon quartier, j’appartenais à une troupe de scouts, avec lesquels j’allais à Fontainebleau le dimanche, et parfois en camp pendant les vacances. Lecteur de la série des Tarzan d’Edgar Rice Burroughs, du Dernier des Mohicans de Fenimore Cooper, de Rahan dans le journal Pif, je rêvais de posséder un véritable couteau. Ma grand-mère me l’a offert pour mon anniversaire, et elle a eu soin de me demander une petite pièce en échange, pour en faire un simulacre de vente, afin que ce couteau « ne coupe pas l’amitié ». J’en étais très heureux, mais je n’ai pas tardé à le perdre. Campant au bord d’une rivière, je l’ai laissé maladroitement tomber à l’eau, et malgré mes efforts je n’ai pas réussi à le repêcher. Plus tard, au long de ma vie, j’ai perdu beaucoup de couteaux, Laguiole, Opinel, etc. j’ignore si ça signifie quelque chose.

Le troisième objet est encore plus mal choisi, parce qu’il semble m’inscrire dans une classe sociale plutôt antipathique, à laquelle je ne m’identifie pas, la grande bourgeoisie parisienne. Il s’agit d’un buste de femme, en terre cuite, dont j’apprendrais plus tard qu’il représentait Madame Vigée-Lebrun, une femme peintre, et qu’il était l’œuvre d’un célèbre sculpteur du dix-huitième siècle. Mes parents l’avaient trouvé à la cave, l’avaient remonté et brossé vigoureusement dans la baignoire pour le décrasser de la poussière accumulée par les siècles.

Me fascinaient le revers du buste, où l’argile presque brut était encore visible, avec les empreintes de doigts du sculpteur et sa signature, mais aussi, au recto, le tracé très délicat des lèvres de la dame, qui semblait inviter au baiser.

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