Le chardon, lieu d’être

Flore, le hasard
fait bien les choses
me propose
de m’attaquer non à la rose
mais au chardon
faut-il que je sois âne ou bouc
gencive dure et surtout langue râpeuse ?
Poète brut ?

Mais bon, je marche, je mâche
On peut compter sur moi
pour en faire toute une histoire
et poser, impudent crâneur
pour un portrait de l’artiste
non en bonnet d’âne
mais tenant un chardon
comme notre maître Albrecht Dürer

Aïe, quoique je veuille l’en chasser
l’âne revient dans mes vers
Celui qui renverse sa cavalière
pour aller manger
le chardon
sur une toile
que Charles Le Brun
vient de peindre

Certes, quand je fais le fier
je me décore volontiers
de l’ordre du saint chardon
de la résistance écossaise
ou de la furie lorraine
Qui s’y frotte s’y pique

Mais je sais, à tout seigneur
tout honneur
le vrai poète du chardon
est le chardonneret
Quelques grammes de couleur
et de vie fiévreuse
assez léger
pour s’y percher
et en déguster
la graine

Ô mauvaise herbe
mauvaise graine
adonnée au vol
plante à moitié secrète
hémicryptophyte, dit-on
chardon a cependant
aidé à carder la laine
des moutons

Si la fleur est trop pâle
un papillon dit Belle-Dame
ou Vanesse des chardons
s’y pose

Et mon imagination retorse
se pique à une écharde
Chardon-Marie
aux nervures blanches
d’une goutte de lait
jaillie du sein
d’une mère vierge

Mais si mon blason
porte chardon
c’est surtout
comme emblème
du dissentiment
de la dissonance
de la dissension

Mode d’être où je suis
par nature et par vocation
sans mérite
toujours à côté
du lieu
qui m’est assigné
toujours à côté
de mes souliers
quitte à me piquer
les pieds

Image : Erolf Totort, Jeune chardon, bic sur papier réglé.

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