Je n’ai pas le droit, je suppose, mais Henri Michaux…

Quelque part, quelqu’un

Quelque part quelqu’un est chien et aboie à la lune
Quelqu’un est né chinoise et maintenant elle a dix-sept ans
Quelqu’un c’est une blonde et sa sœur est vive, véritablement pétulante
Quelqu’un son père est highlander
Quelqu’un… et puis ça lui a retenti sur les reins et maintenant fini, il dit qu’il aime autant mourir à l’hôpital
Quelqu’un il a de grosses solives à sa maison
Quelqu’un, il veut encore un peu de crème. Mais l’autre quelqu’un, c’est l’existence de Dieu qui le chipote
Quelqu’un vient d’avoir un moment de fierté qu’il expiera durement
Quelqu’un, il pleut
Quelqu’un, cette fois il pleut fort
Quelqu’un les gens d’à côté rentrent à l’instant
Quelqu’un il n’y a pas eu de brise aujourd’hui, et la houle de fond est encore forte
Quelqu’un, il pleut toujours, mauvais pour le toit

Quelque part, quelqu’un renaît insecte, se nourrissant d’excréments, ses antennes trempant dans la substance fétide ; essayant de se souvenir d’une vie antérieure, malgré lui, il songe à une future quand les excréments seront plus copieux et plus uniformément répandus de manière qu’il y en ait pour tous
Quelque chose quelque part est rail, sous un train de six cents tonnes, et plie et vibre, et enfin se redresse
Quelqu’un, zut pour les autres
Quelqu’un, zut pour moi
Quelqu’un porc-épic-clarinette
Quelqu’un clarinette seulement
Quelqu’un sa pirogue c’est son île
Quelqu’un, sa misère c’est son île
Quelqu’un, sa robe c’est son île
Quelqu’un son enfance c’est son île
Quelqu’un faire la soupe à la cuisine c’est son île
Quelqu’un c’est quand les autres parlent, son île
Quelqu’un, il n’a pas d’île
Quelqu’un, il n’a qu’une toute petite île
Quelqu’un si vous croyez qu’il aimerait ça une île
Quelqu’un, en 1938 plus d’îles, mort aux îles, tous en uniforme.
Quelqu’un un courant d’air suffit à mettre son île en danger
Quelqu’un, être en désaccord avec sa famille c’est son île
Quelqu’un, il a plus de fleuve que d’île
Quelqu’un il a plus de barrage que de fleuve
Quelqu’un il a plus de barrage que de fleuve
Quelqu’un il a plus d’horizon que de barrage
Quelqu’un il a plus de savoir que d’horizon
Quelqu’un, il suit plus la pente
Quelqu’un, du talent comme mes bottes
Quelqu’un, diplomate-circonstance
Quelqu’un, plus d’échelles que de pensées
[…]
Henri Michaux, Textes épars 1936-1938, œuvres complètes 1, bibliothèque de la pléïade

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