Gloses sur le livre

Pour sortir des nuées où l’on rêve les livres plutôt qu’on les écrit, j’ai copié dans mon carnet trois définitions.

« Réunion de plusieurs cahiers de pages manuscrites ou imprimées » écrit simplement Littré, rappelant que certains sont manuscrits, une histoire du théâtre par exemple, et qu’il s’agit toujours de combiner ou de coudre.

Mais c’est un peu carré et sommaire et j’aurais souhaité quelque chose de plus libre, de plus ivre.

Où est le portulan, le journal de bord et naufrage, l’herbier exotique, la recension d’animaux fabuleux ou disparus ?

Paroles fantômes d’hommes plus souvent que de femmes, sagesses fortes et vieilles comme des alcools, mythes effrayants, sacrifices sanglants, voix dont les voyelles mêmes se sont évaporées.

« Assemblage d’un assez grand nombre de feuilles portant des signes destinés à être lus » écrit plus tard Le Robert.

Disparition du cahier et de la couture, pour des pages bêtement collées sur la couverture. Mais « portant des signes », je ne sais plus. Les signes sur la page sont peut-être des ombres, des incisions, des cicatrices.

Où le grimoire grouillant de signes illisibles et inquiétants, de vastes tracés au pinceau et à l’encre barrant les pages ?

La ville toute entière de lettres, avec ses quartiers, ses rues, ses panneaux indicateurs, et la rumeur des habitants, Troie, Dublin ou Trieste dédoublées, où j’habite plus volontiers qu’ailleurs ?

Et même pays où vivre, quand la contrée réelle a été effacée par les guerres, les cataclysmes, les exodes, atlantides, éneides, utopies nostalgiques et magnifiées.

« Volume, plusieurs feuilles de papier, vélin, parchemin ou autre chose semblable, écrites à la main ou imprimées & reliées ensemble avec une couverture de parchemin, de veau, de maroquin, etc. » recense l’Académie.

Appréciant le souci de la matière, ce que caressent les mains en tournant les pages, on voudrait tout de même crier aux savants vieillards :

— Tochmarc ! Et la courtise ! Pages célébrant une beauté vive ou défunte, un corps de femmes, récit d’un amour impossible pour une maîtresse ardente à se transformer en cygne ou en serpent.

Et encore livre parfois, pavé dans la mare, foudroie nos illusions, débusque nos mensonges ! Ô Emmanuel Bove ! « Et le ciel qui se retire comme un livre qu’on roule ». Coup de semonce !

Et le livre enfin, feuilles liées au liber, partie vivante de l’écorce, arbre de la connaissance, récit sans auteur fixe, aux multiples branches, aux racines profondes, semeur de graines au loin. La matière du livre ne se projette pas réellement sur deux dimensions. Mieux qu’une définition, tu aurais mérité un hymne ou un cantique.

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