Genévrier thurifère

Genévrier des Aurès, photographie de Hakim Mohamdi

On est tenté de rêver, de révérer
le genévrier
thurifère ou « porte encens »
comme un roi mage d’antan

Mais à deux, à trois reprises
il nous échappe
se cache derrière l’horizon
Où est le thurifère
sans lequel aucune cérémonie
n’aura lieu ?

Comment faire
que les dieux
remarquent nos prières
sans ta fumée
sans ton parfum
montant vers les cieux ?

Choucroute,
liqueur de genièvre, gin
qui enivrent
n’aident en rien
Ce n’est pas ce genévrier-là

Mais un aîné
vénérable
Un aventurier
qui hante
des pentes
autrement plus arides
autrement plus hautes
jusqu’au niveau
des neiges

Juniperus thurifera
habite aux confins
pousse
parmi les rocs dénudés
les éboulis
où saille
l’ossature des monts

Ses bosquets sont disséminés
de part et d’autre
de la Méditerranée
Alpes, Pyrénées, Atlas, Aurès
monts de Corse, d’Espagne

Issu d’une lignée fort ancienne
presque entièrement disparue
celle des arbres à graines nues
il a grimpé là-haut
des millions d’années avant nous
comme un peuple
replié dans sa montagne
forteresse inexpugnable
pour conserver ses usages
et sa liberté
laissant les envahisseurs
jouir de la plaine

Noueux, hérissé, tordu
relique ici d’une ère
plus froide et plus sèche
d’une époque de mammouths
et de silex
ermite amateur de silence
et d’horizons dégagés
il eut le temps de méditer

Puis l’ancêtre vit arriver
les premiers hommes
Il les protégea
prêtant bois aromatique
pour leurs feux
poutres torses pour leurs cabanes
quand l’herbe manquait
fourrage pour leurs chèvres

Planté à côté de la ruche
un rameau attirait l’essaim
Son parfum éloignait punaises et araignées
Son fruit attirait les oiseaux
que l’on voulait piéger
Le goudron cicatrisait les plaies
Le fagot cuisait l’argile des pots

Et sans doute moins ingrats
qu’aujourd’hui
les hommes en étaient reconnaissants
Dans les églises des Alpes
ses baies garnissaient l’encensoir
Dans les Aurès s’il rappelait un ancêtre
un saint ou une sainte
on y nouait des rubans bariolés
Au Maroc, on allumait des lampes
pour l’arbre marabout
Agouram Androman

Les troncs les plus anciens
révèlent une fibre
presque nue

Les baies violettes
nommées galbules
sont délicatement
poudrées de pruine
semblable au givre
qui les protège
de l’ardeur du soleil

La couleur de son bois dur
lentement poussé
va du crème à un
rouge dont l’intensité
s’affirme avec le temps

Frugal et robuste, dit-on
sempervirent
vert en toute saison
malgré l’âge

Où es-tu
porteur d’encens
porteur de nos vœux
de nos mémoires
thurifère ?

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