Va châtaignier

Qui place une bûche de châtaignier dans son feu se verra récompensé par des détonations sèches, des projections d’escarbilles enflammées. Est-ce l’indice d’un tempérament incendiaire ? Dès l’abord, faut-il craindre avalanche de châtaignes, marrons, castagne féroce ? De vrai les piquants des bogues sont hostiles, le fruit explose s’il n’est pas incisé, et jusqu’aux jeunes feuilles gaufrées, lancéolées, qui présentent comme des dents de scie. C’est un rebelle, un irascible.
Assurément, si l’arbre tentateur du jardin d’Eden avait été un châtaignier, et qu’Ève avait proposé à Adam de mordre dans ce fruit dur et armé, — Jamais de la vie, mon aimée ! l’humanité aurait continué à vivre nue et sans péché.
Comme la nôtre, son écorce d’abord lisse et douce, se fendille et se plisse avec l’âge ; s’il est comme nous dur au labeur, s’il ne répugne pas aux besognes modestes, être planté en piquet, en échalas, tendre un parquet, porter les tuiles en lattis, son bois, contrairement au nôtre, est réputé imputrescible, et le châtaignier souvent reste debout, même mort.
Comme il repart bien de la souche, on le voit souvent en taillis, plutôt jeune, mais si on respecte son intégrité, si on lui laisse la place, le châtaignier vivra bien mille ans, et nous construira un géant bien ramuré.
S’il est plus cévenol, plus ardéchois que normand, on le rencontre tout de même ici, pas dans la vallée et dans la glaise, mais au flanc des collines, dans les sablonnières, parmi les silex, et, en saison, les châtaignes dévalent dans les chemins creux.
Provende à écureuils, à cochons ? Pas seulement, « chauds les marrons ! », crie-t-on en hiver, dans les villes. Quant aux campagnes, farine et pain aux époques de disette. Une fois par an, ces fruits rustiques et frustres se muent même en sucreries de luxe.
Si j’estime le châtaignier, ce n’est pas seulement parce que j’espère, comme lui, une fois défunt, faire exploser la chaudière du crématorium ; parce qu’il est, comme moi, plus apparenté au hérisson qu’à l’ours en peluche, c’est aussi à cause de la couleur, châtain, de la chevelure d’une que j’aimai jadis.

Photo : Châtaignier Petit-Jean © Eddie Awalludin

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