Étienne Jodelle « J’aime le lierre aussi, et sa branche amoureuse »


D’Étienne Jodelle, dans Les Amours (1574)

J’aime le vert laurier, dont l’hiver ni la glace
N’effacent la verdeur en tout victorieuse,
Montrant l’éternité à jamais bien heureuse
Que le temps, ni la mort ne change ni efface.

J’aime du houx aussi la toujours verte face,
Les poignants aiguillons de sa feuille épineuse :
J’aime le lierre aussi, et sa branche amoureuse
Qui le chêne ou le mur étroitement embrasse.

J’aime bien tous ces trois, qui toujours verts ressemblent
Aux pensers immortels, qui dedans moi s’assemblent,
De toi que nuit et jour idolâtre, j’adore :

Mais ma plaie, et pointure, et le Nœud qui me serre,
Est plus verte, et poignante, et plus étroit encore
Que n’est le vert laurier, ni le houx, ni le lierre.

Le pays de l’alisier blanc

Montant au col de Beauvoisin
en vue de la croix de Justin
autre pays des merveilles
essoufflé mais les yeux grand ouverts
sur une pente buissonneuse
j’ai aimé
l’allant de jeunes arbres
l’élan vigoureux et désordonné
de leur tronc mince
gris, tacheté
moins appesanti
que moi par la gravité

Comment ne pas admirer
leurs faisceaux de fruits
verts, orange ou rouges
selon leur maturité
et surtout la danse changeante
de leurs feuilles gauffrées
argentées au verso ?

J’ignorais leur nom
peut-être un sorbus
genre fourre-tout
ou un prunus inconnu ?
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Dans les yeuses

Là bas, jadis, au pays d’Épire
barbare et mystérieux
lointain, nordique et pluvieux
du moins au yeux des Grecs
dans le bruissement des ramures
d’un bois de chênes
on déchiffrait les paroles de Zeus
le dieu assembleur des nuées
et la légende de Dodone me fascine

Me mêlant de ce qui ne me regarde pas
je me demande si les chênes
nous observent
quand leurs rameaux
oscillent et chuchotent
même sans vent

Serviteurs de l’oracle
les Selles, ascètes méconnus
vivaient pieds nus
Mal lavés, dit Homère
ils dormaient à même le sol
sans doute pour mieux
comprendre les arbres
mais on ne nous dit pas
s’ils rêvaient debout
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Le figuier, arbre aux fables

Nain peut-être
au royaume des lettres
souvent les fruits poétiques
paraissent hors de portée
pourtant, je m’obstine et
me hisse sur la pointe des pieds

Mais heureusement cet arbre-ci
un peu plus au sud
incline sa ramure et ses énigmes
jusqu’à moi
sans fatigue

Son tronc ?
Gris, lisse
parfois tors, déviant de la verticale
se livre à des penchants capricieux

Ses branches ?
sinueuses, cassantes
annelées ou bourgeonnantes

Son ombre ?
Dense et fraîche
aurait tenté le serpent
d’y abriter son intrigue

Son parfum ?
Riche et sucré
pour peu qu’il soit chauffé
au soleil d’été

Ses feuilles ?
Vernissées, de forme aussi variée
que les interprétations d’un verset sacré
auraient aidé les parents premiers
à cacher leur nudité
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Hécatombe de marronniers

Malgré sa taille
j’ai dû mal à m’y intéresser
Comme le platane
j’ai l’impression
qu’il est banalement
planté en rangées ou en allées
par des édiles ou jardiniers
sans imagination

On appelle d’ailleurs « marronnier »
un article de journal
récurrent et peu intéressant

Pourtant le marronnier
triomphant en saison
de fleurs blanches
coniques ou pyramidales
et de grandes feuilles composées
à sept ou cinq folioles
est sans doute le premier arbre
que j’ai appris à reconnaître
même si ses fruits étaient étrangement
homonymes de la grosse châtaigne
cuite ou confite
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Cornouillers : Jumeaux de bois et de sang

Buisson ou arbuste
de peu de mine
jadis renommé
depuis oublié

D’ailleurs affublé d’un suffixe
qui dénonce des actions ratées
ou inutiles

Se déploie, le cornouiller
en deux variétés
complémentaires et opposées
comme le fer et le sang
dans un conte
pas pour enfants

L’un, cornouiller sanguin
cornus sanguinea
fleurit blanc
et possède des fruits noirs
immangeables

L’autre, cornouiller mâle
cornus mas
porte fleurs jaunes
puis fruits rouges
cerises oblongues
comestibles
une fois blettes

Ils sont tous deux
dotés de feuilles étranges
dont les nervures
au lieu de diverger
se rabattent vers une pointe
légèrement asymétrique

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Au merisier, salut

Une prochaine fois on rimera
Prunus cerasus, le griottier
ou cerisier aigre
l’arbrisseau drageonnant

Aujourd’hui, au merisier, salut
Prunus avium
sauvage de haut fût
cerisier des oiseaux
fruits ailés
écorce de papier
qui se déroule et qui frise

Au printemps neigent dans le sentier
les pétales blancs et délicats
soufflés par la brise

Pour fruit, une idylle étymologique
apprivoisée, savoureuse, la cerise
sauvage, amère, la merise
Il n’y a pas loin d’amer à aimer

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Au pied du palmier

À n’avoir vu que des palmiers en pot
déracinés, comme au zoo
enfermés sous le verre
au jardin des Plantes
dans la grande serre
ou décorant de grands édifices
dispersés en Bretagne ou à Nice
je n’avais rien vu du tout
jusqu’à, la cinquantaine passée,
aux oasis ayant zigzagué
de Biskra à Tolga
de M’chounech à Sidi Okba
de Sidi Masmoudi à Gartah
le long des séguias d’eau vive
Car le palmier est un monde
et une civilisation

S’il pousse ses palmes jusqu’à trente mètres de hauteur
il commence grand comme une main
Son secret serait proche du nôtre
nous enseigne l’étymologie
La datte, latin dactylus, grec dactulos
est comme le doigt et son os
la palme, du latin palma, comme la paume

Son nom savant
depuis dix-sept cent trente-quatre
est Phoenix dactylifera
phénix porte-doigts
phénix parce qu’il survit aux incendies ?
ou parce qu’il serait venu de Phénicie
dans les bagages
des fondateurs de Carthage ?
Il suffit d’un noyau dans la poche

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