Grimper aux arbres

Vieux singe
malgré mon âge avancé
je grimpe encore aux arbres
des quatre saisons
je rêve encore aux arbres
de nos enfances

J’ai au cœur
l’un des romans les plus poétiques
du siècle précédent
Le Baron perché
d’Italo Calvino
dans son cycle
« Nos ancêtres »
et pour ami
son héros
excentrique
Côme, baron du Rondeau

J’en ai parfois lu des extraits
à mes enfants
alors que nous étions tous
juchés dans un vieux charme

Il nous met en garde contre le figuier
Pour moi, charme, chêne, tilleul, cerisier
tout est bon
et j’y récolte résine de pin sur les mains
ou gomme de merisier
ou cerises
ou dattes
ou traces vertes
sur mes vêtements
du dimanche

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Le temps des lilas

Maintenant que nous entrons
dans les frimas
et qu’un vampire médiocre
m’a privé de l’odorat
est-ce le bon moment
pour parler du lilas ?

Voisin plutôt calme
vêtu d’un imper
vert sombre
on tend à ne remarquer
cet arbuste discret
qu’au printemps
quand il se pare de thyrses
embaumés et fleuris

« Ses belles et grandes fleurs
de couleur grix violent,
sentans bon,
parent longuement le jardin »
écrit l’ami Olivier de Serres
en son Théâtre d’agriculture

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Ceci n’est pas une glycine

La glycine de ma voisine
irai-je à la gendarmerie ?
tente de s’introduire chez moi
par la fenêtre du premier
et par la porte de la cuisine

Au secours
la glycine darde ses vrilles
Ses ramées sinistrogyres
s’aggripent partout
se tortillent, s’insinuent
Le sud des États-Unis
la classe parmi les exotiques
invasives

Même si elle dispense un ombrage
d’un vert délicat
et fleurit deux fois l’an
ses graines et son feuillage
sont toxiques, mais oui
et elle m’espionne

J’avoue, le Belge Alfred de Neuville
rime plus joliment
dans ses Épigrammes
à la japonaise

« La grappe de glycine où s’amuse le vent,
Frôlant la vitre et s’esquivant,
Tous les matins, dans mon alcôve
Me lance un bonjour mauve »

La glycine a la douceur
de la banalité
Rue des Glycines ?
Parfum de banlieue
pavillonnaire
venu de Chine ?

Du moins, ai-je le plaisir
d’écrire que la glycine
est une papilionacée
un arbuste lianescent
et volubile

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Épitaphe pour cent mille pins des Landes

Photo archives Philippe Salvat

Normalement, avec les arbres
les événements sont rares
Avec eux, peu d’actualité
on peut prendre son temps
mais la normalité n’est plus
ce qu’elle était

Normalement, ce n’était pas mon préféré
surtout quand la pinède
était plantée en rangées
prêtes à moissonner
à l’abatteuse mécanique
Sous-bois sombre et silencieux
sec, déjà endeuillé
ombrage qui manquait de fraîcheur
mais la normalité n’est plus
ce qu’elle était

pinus pinaster
répertorié dans le catalogue
du merveilleux jardin de Kew
par l’Écossais sourcilleux
William Aiton en mil sept cent quatre-vingt-neuf
alors qu’il est plutôt méditerranéen
Cortège funéraire :
pin pinastre
pin des Landes
pin maritime
pin de Corte, aussi
en Corse

Hélas, les héros de l’Iliade, morts
étaient couchés et réduits en cendre
sur un brasier de pin maritime
Cortège cinéraire !
Les larmes de résine
sont hautement inflammables

Écorce écailleuse
profondément sillonnée
et rugueuse
brun rouge
Pollen jaune
Parfum qui libère les poumons
humains
Aiguilles vives pour trois ans
Tempérament de feu

Dans la Rome antique
les flambeaux de pin
éclairaient la jeune mariée
Rameaux et pommes de pin
évoquaient le culte de Cybèle
mystérieuse et souterraine
déesse mère
de sang de taureau abreuvée

Mais par milliers, par dizaines de milliers
par centaines de milliers, par millions
les pins pinastres
désormais désastre
ont été incinérés par l’été deux mille vingt-deux
autour de la Teste-de-Buch et de Landiras
écorce, rameaux, bourgeons et pigne, tout entier
Mille à mille cinq cents plans par hectare
c’est vous dire
sangliers en feu qui courent
chevreuils ébouillantés
La même année
les monts d’Arée
aussi ont brûlé

Avec eux est partie en fumée
toute une histoire
qui commence, paradoxe
avec des Landes de Gascogne
trop humides
pour être cultivées
les dunes empêchant
l’eau de se déverser dans la mer

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Tremble

Grand, mince
mais pas autant
que le peuplier d’Italie
Plus discret
que le peuplier noir

Écorce gris clair
mouchetée
de lenticelles
qui respirent

Bourgeons gluants
au printemps

Et par-dessus tout
ces feuilles
petits cerfs-volants
marquées d’un dessin arborescent
reliées aux rameaux
par de longs pétioles
profilés pour danser
palpiter translucides
murmurer leur musique
aquatique
qui lui ont
valu son nom
et ses trémulations

Pourquoi le peuplier tremble
populus tremula ?
Hypothèses et légendes
ne manquent pas

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Sumac fustet — arbre à perruques

Abord : des eaux de la Colombe
au col du Royet
sept cents mètres de dénivelé
monde végétal gradué :
sous-bois feuillus
source de menthe sauvage
cailloux et pommes de pins
chênes tors
raidillon des beaux hêtres
jusqu’aux prairies d’altitude
sèches et fleuries
couronnées d’un buis
épargné par la pyrale

Mi-pente un arbuste
smoke tree dit l’anglais
s’empanache de fumées
d’aigrettes mousseuses
aériennes, du blanc au rose
sauvagement raffinées
au-dessus de feuilles
ovales, vernissées
plus érigées que tombantes

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Bourdaine

ll y a tout d’abord la joie
simple, juvénile
d’apprendre à la nommer
de se mettre un nouveau mot
en bouche,
même si la plante est toxique

Heureusement, on ne s’empoisonne pas
en proférant le nom d’une plante
vénéneuse

Arbuste ou buisson
à l’écorce du brun au gris
aux feuilles assez semblables à celles de l’aulne
constellé de fausses cerises d’août
plus petites, rouges puis noires

C’est la forêt de Bercé qui m’a offert
ma première bourdaine
Autre extrémité de l’ancienne
forêt géante des Carnutes ?
Ses chênes doivent aider
à couvrir le nouveau toit
de Notre-Dame de Paris

La bourdaine, buisson d’Europe
est considérée comme étrangère
invasive
aux États-Unis et au Canada
mais protégée en Irlande

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Mûrier blanc

Ce n’est pas un Maure blanc
morus alba
mais l’arbre le plus exotique
d’une enfance
à dévaler l’été
les chemins caillouteux
ivre d’une liberté
inconnue dans nos villes

Toujours un arrêt
à l’ombre dense
sous le feuillage épais
d’un arbre trapu et courtaud
taillé en têtard ou cabasso
que je savais étranger

Le mûrier blanc
gorgé de sucre à l’été,
bonbons spontanés
arbre de cocagne
tachait le sol d’écarlate ou de pourpre
fruits rouges ou blancs saturés de chaleur
de guêpes et de bourdonnements
que personne ne se mêlait de manger
sauf les insectes, les oiseaux et nous

Le gentilhomme ardéchois
et résolument huguenot
écrivain d’antan
dont je fréquente souvent
le Théâtre d’agriculture
Olivier de Serres
acteur important
de son histoire
critique « la fade douceur » du fruit
et le réserve aux « femmes dégoûtées
enfants et pauvres gens
en temps de famine »

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Sous-bois : nom d’une fleur, anémone

Avant que ne jaillissent les feuilles des arbres, sauvage passagère du printemps, invisible dès l’été, toute une histoire éphémère fleurit, blanche ici, rosée, écarlate ou purpurine ailleurs, belle et frêle comme notre bonheur, pourvu que l’on baisse les yeux.

L’anémone prénommée sylvie comme un songe de Nerval constelle la clairière d’imaginations venteuses et décoiffantes. Anemone nemorosa, rose de mer, rose de Nemo, capitaine du Nautilus, enseveli dans son sous-marin au large de l’île mystérieuse ? Non, plutôt de nemus, « bois » en latin, bois sacré même, d’une sauvagerie surnaturelle, quelquefois visité par une divinité, anémone des bois.

Quel souffle visite en rase-mottes la plate-bande ? Éclose du vent selon la science antique, l’anémone tourne ses pâles pétales vers le soleil et les referme si une pluie trop violente menace ses tiges grêles.

Vénus pleurant sur le corps d’Adonis naaman aurait fait éclore magiquement du sang de son amant, comme bulles de pluie à la surface de l’eau écrit Ovide, ces fleurs de vent.