Profondeur du nerprun

Je devrais plutôt tailler
des signes abstraits
dans un roc isolé

M’appelle pourtant
un nouvel éloge
nouvelle réclamation
nouvelle acclamation
nouvelle proclamation
d’un arbuste tenace
confus et épineux

Comme moi ?

Feuillage vert sombre
aux nervures convergentes
baies noires à la fin de l’été
toxiques et purgatives

Avec la bourdaine
et le cornouiller
on le confondrait
sans ses épines
Rhamnus catharticus

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Le rouge-gorge et le bédégar

Dans la forêt du sommeil
dans la forêt du langage
rêve des feuillages

Quelquefois, il s’égare, papillon
à la recherche de la fleur
sur laquelle se poser
le mot

Un des précieux lexiques
dont Gérard de Crémone
Italien installé à Tolède
accompagnait
ses traductions de l’arabe
cite le bédégar
au douzième siècle

Rose du vent
vent et rose
en arabe, en persan
bédégar ?

D’un air de brigand
des Mille et Une Nuits
bédégar a désigné
une rose, le chardon-Marie
l’églantier et puis enfin
cette effloraison
étrangement chevelue
qui l’embroussaille

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Bretoncelles, et si un jour ça se passait ainsi !

Avec Patrick Schweizer et le metteur en scène Denis Robert, j’ai participé à l’élaboration d’un spectacle sur la grève des ouvriers de l’usine Piron de Bretoncelles qui ont licencié leur patron en 1974. Le projet a rencontré une vive opposition de la part de la famille de l’ancien patron, et même de la municipalité, mais la représentation aura lieu de toute manière. Rendez-vous à Bretoncelles dimanche 17 septembre à 15 heures. Denis Robert a rassemblé beaucoup d’éléments sur le sujet, dont des photographies, des coupures de presse, et deux films d’époque, sur le site https://piron.troisiemerive.com

Colchique au talus

Comme un crocus
mauve miraculé
qui paraîtrait brièvement
à la fin de l’été
pour lequel on fait
exception

Les colchiques sont
empoisonnées, soit
elles évoquent Médée
et les trésors maléfiques
de la Colchide antique
Dans la pharmacopée
elles soignent la goutte

Mais, colchique dans les prés
c’est la fin de l’été
répète la rengaine
écrite par deux scoutes
en mil neuf cent quarante-trois
sans doute

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Blason des volubiles

Illustration : Elizabeth Blackwell, Herbarium Blackwellianum, Nuremberg, 1765.

Il est déjà là, le temps des baies
avec l’avance que l’on sait

Sur la robe encore verte de la haie
colliers, guirlandes, festons
vrilles, serpentins et rubans
aigrettes, plumets
perles et pierreries baroques
rouges, violettes ou noires
Un noir de jais pour le deuil
de nos étés sans brûlure ?

Pousse une vérité emmêlée
concurrente ou symbiotique
de grains, d’akènes, de drupes
Breloques, dentelles sur la robe
de la danseuse verte

En hiver, quand la haie sera nue
ses os de bois uniquement
cachés par la feuille de lierre
elle conservera cependant ses bijoux
d’églantier, bryone ou tamier

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Almanach de l’alisier

Photo : Alisier de Bourgerit, Yannick Morhan, Le krapoarboricole

En août, colline à bruyère et ajoncs
terres acides au-dessus
de la vallée de la Cloche
près de Marolles-les-Buis
Eure-et-Loir, si si

Événement : des yeux dessillés
voient enfin, des bois, l’alisier
aussi alisier torminal ou aigretier
poirier suisse ?
Sorbus torminalis ou plutôt
Torminalis glaberrima
insiste le Muséum d’histoire naturelle
Pourquoi « torminal » ?
Attendons un peu

D’abord la feuille
comme celle d’un érable
agrandie de deux pointes
jumelles du côté du pétiole
et petits fruits globuleux et bruns
L’écorce grise
fissurée, lenticellée

Mais c’est un arbre
sis dans le temps différemment
Almanach de l’alisier
c’est un arbre évidemment
pour cent, deux cents ans
traversant à sa façon d’arbre
décennies et saisons
Mon passage lui est un songe

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Érable matamore

Avec de l’élan et de l’allant
pour me hisser à la hauteur
j’ai tourné sur moi-même
bras étendus
choisi des mots longilignes

Mais pardon
cher Carl von Linné
Acer pseudoplatanus
érable ou sycomore ?
À ne pas confondre
avec acer platanoides
ni avec l’érable
à feuilles d’obier ?
Je crois qu’un tel fouillis
nuit à la compréhension

Franchement, est-ce
un figuier vénérable ?
un platane d’Orient
même si l’écorce s’écaille ?
Non, c’est un érable élancé
dont les feuilles opposées
ont cinq lobes dentés
et de longs pétioles
souvent rouges
Pourquoi ces hésitations ?

Lequel est faux, lequel vrai ?
Lequel ressemble à l’autre ?
Pourquoi pas érable altier
ou érable à violons ?
D’autres disent plus simplement
grand érable, érable blanc
ou érable des montagnes Continuer la lecture de « Érable matamore »

Lande d’ajoncs

J’ai envie de chanter là
la lande
et l’ajonc acéré
Si La lande 
touche le ciel
a écrit Guillevic, Eugène
ou était-ce Le Braz, Anatole
l’ajonc l’ancre

Faut-il le dire, c’est du Cotentin
que je reviens, illuminé
enluminé d’un coup de soleil
finistère proche et lointain
ce qui conduit à consulter
des Bretons d’outre-tombe
un Suédois et peut-être un Américain

Nécromant ordinaire
je converse souvent avec des morts
qui me contredisent moins
que les vivants

Pourtant, Anatole me met en garde
contre la poésie de boule à neige
« prenez quelques clochers à jours
quelques calvaires, un air de biniou
trois notes de bombarde
vous ajoutez un brin de genêt
un bouquet d’ajonc-d’or
du vent, de la brume, de la pluie, de la mer
vous mêlez le tout, vous agitez fortement
et vous avez la Bretagne »

Mais l’ajonc bien sûr
nuances de vert
allure mousseuse
trompeuse douceur
ulex europaeus
a piqué ma curiosité
pas seulement
quand je me suis assis dessus
par mégarde

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Magnolia

Qu’est-ce que le magnolia
vient faire là ?

Ses grandes fleurs blanches
dans un feuillage épais
dur, et presque verni
son tronc pâle et lisse
viennent du Nouveau Monde
« Laurier tulipier » l’ont
appelé les Français
de Basse Louisiane

Sans doute il pousse aussi
dans les Florides
aux frontières
de leur rêve américain

Au village, pourtant
Claude en a un
dans son jardin
Comme Martine et Alain
Magnolia grandiflora
et je les admire
au pays de la Coudre
et de la Même

Le père Charles Plumier
mort d’avoir trop voyagé
l’a dessiné
et baptisé « magnolia »
dans Nova plantarum
americanarum genera
en mil sept cent trois
en hommage à Pierre Magnol
un Provençal, on le devine
directeur du jardin des Plantes
de Montpellier
et auteur de plusieurs traités
de botanique en latin

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Lettre du Cèdre

Enivré par son parfum
son ombre profonde
son écorce
reconnaissant pour la fraîcheur
qu’il a offerte à mes études
par un été de canicule
mauvaise idée
j’essaie
un poème du cèdre

Et bientôt je vois
à quel point le sujet est trop grand
pour moi
trop vaste
pour tenir dans mon carnet
trop vaste pour être embrassé
trop élevé pour y cueillir
une pomme ou un rameau
Toute mon encre
n’y suffirait pas

Le cèdre
m’a scotché
cathédrale faite arbre
et sa résine odorante

Eh oui, on le sait
altier, le cèdre
vient d’une autre ère
et il a traversé les mers
avec les Phéniciens
et leurs étroites nefs

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